Qui peut affirmer n’avoir jamais connu quelqu’un en souffrance dans une association ? Quel·le responsable associatif·ve de la Fédération n’a pas déjà vu un·e bénévole cesser brutalement ses activités ? Voici un article pour comprendre pourquoi ces situations peuvent se produire et tenter d’apporter des solutions.
Il arrive que, parfois avec fracas, parfois discrètement, des bénévoles de la FSGT se disent floué·es, abandonné·es, par l’association à laquelle ils/elles ont pourtant consacré une part importante de leur vie et la quittent soudainement…
Si ces moments ne sont pas ignorés, ils ne sont que rarement discutés dans les instances associatives. Ces dernières traiteront des problèmes, mais rarement de la souffrance des personnes concernées. Et celles et ceux qui ont vécu de tels épisodes rechignent souvent à les aborder au grand jour. « C’est une page tournée, je préfère ne pas revenir là-dessus », affirment-ils/elles. La souffrance affective étant en effet peu valorisante, il est difficile d’admettre l’avoir vécue et d’en parler.
Au silence des acteur·rices s’ajoute celui de l’institution. Le projet de la Fédération se réclame d’un sport émancipateur, d’une vie associative pensée comme un lieu de liberté et de socialisation. Mais ces finalités ambitieuses n’incitent pas à porter le regard sur des zones d’ombre. Pourtant, le militantisme se grandirait et s’humaniserait s’il prenait en compte l’ensemble des conduites humaines qui le concerne ou qu’il génère. Ne pas regarder le thermomètre n’a jamais fait baisser la fièvre !
La souffrance associative survient « dans » et « par » la vie associative. Elle est spécifique à l’engagement volontaire. Proche de la souffrance au travail par ses effets destructeurs, elle s’en différencie par l’absence de subordination, les bénévoles n’obéissant que s’ils/elles le veulent bien. Son intensité est néanmoins en relation directe avec l’importance de l’engagement. On ne quitte pas sans dégât ce qui a été constitutif (un peu, beaucoup, passionnément…) du sens de sa vie.
Nécessairement individuelle, subjective et largement indépendante de la gravité de la situation vécue, la souffrance naît d’un décalage entre un attendu (espéré ou idéal) et une réalité blessante ou décevante. Elle perturbe, voire annihile, l’engagement bénévole et peut se décliner de la simple déception à l’épisode dépressif.
Que ressentent ces « acciden-té·es » du militantisme ? Ils/elles décrivent souvent une blessure de type « narcissique », où l’estime de soi est mise à mal. Certain·es en viennent à douter de leur propre valeur, se sentent diminué·es ou pensent n’être plus, ou pas assez, capables. D’autres parlent d’un sentiment de culpabilité et s’estiment alors « en faute ». Parfois, c’est l’impression de trahison et d’abandon qui s’exprime. Lorsque les camarades du club n’apportent plus cette reconnaissance indispensable à l’équilibre, le/la bénévole, alors privé·e de cet étayage social et affectif, se retrouve démuni·e et vulnérable.
Situations douloureuses
Si la souffrance des bénévoles est difficile à supporter, l’association est également affectée par ces situations. Qui n’a jamais entendu ce bruyant silence suivant la présentation d’un problème mettant en cause les relations humaines ? L’illusion d’un groupe idéal est brisé. Parfois, c’est un clivage qui va apparaître et la peur de s’engager dans le conflit peut générer une inaction encore plus préjudiciable.
Il existe des formes d’organisation ou des moments de la vie associative plus propices que d’autres pour créer des situations douloureuses : lorsque le projet est trop vague ou insuffisamment partagé (chacun·e pense qu’il/elle incarne le fameux « esprit du club » ou les valeurs de la FSGT) ; lorsque les règles qui organisent la vie associative sont imprécises ou non respectées (il s’en suit un flou sur ce qu’il est possible de faire) ; lorsqu’il s’agit de coopérer au sein de nombreux collectifs (cela peut être complexe et notre société actuelle nous y prépare peu) ; lorsqu’il n’y a pas de de lieu pour dire son malaise… Toutes ces paroles, ces émotions non exprimées, font s’accumuler la rancœur, puis le ressentiment. Le feu couve sous la cendre.
La vie associative génère nécessairement des conflits et des désaccords. Il n’existe pas de projet sans conflit ni passion ! « L’opposition n’est pas seulement inévitable, elle est souhaitable », peut-on lire dans le manifeste de l’Internationale convivialiste, une philosophie politique de la vie en commun, de l’art de coopérer en s’opposant sans s’entretuer.
« C’est elle qui en “ alimentant les désaccords féconds ” est créatrice de vie et de sens. »
Il nous faut donc apprendre à considérer ces différences comme des atouts potentiels et non comme des obstacles à renverser. Pour ne pas affronter des désaccords, nous les évacuons d’ailleurs comme des problèmes de communication. Or ne pas être d’accord sur un point et ne pas s’être compris n’est pourtant pas la même chose.
La technologie nous a offert de multiples possibilités d’échanger rapidement des informations, de coopérer à distance. Mais ces progrès peuvent aussi être la source de dérapages, comme ces mails envoyés trop vite à trop de destinataires ! La liste n’est, bien sûr, pas exhaustive. Citons par exemple les jeux de place et de pouvoir, les situations qui remettent en cause l’intégrité et l’honnêteté, les mises à l’écart, le surmenage ou encore l’impossibilité de réussir…
Ces histoires de vie associative mettent en lumière l’importance des affects et des émotions dans les conduites d’engagement. Les raisons de militer sont variées, mais on peut néanmoins affirmer qu’elles relèvent de deux logiques complémentaires : une logique rationnelle qui refuse le monde tel qu’il est et vise, peu ou prou, à le changer ; une logique existentielle où l’engagement me permet de me construire et donner du sens à ma vie. Les bénévoles avancent ainsi sur deux jambes, pas l’une sans l’autre, il n’y a pas d’action militante sans gratification.
Quelques pistes
On l’aura compris, les motivations existentielles sont insuffisamment considérées dans de nombreuses organisations. Dissipons toute illusion : ces situations ne vont pas disparaître, elles sont constitutives de l’engagement et de la vie associative. Pour autant, le reconnaître n’oblige ni à s’en accommoder ni à les ignorer. Ces cas particulièrement douloureux peuvent nous être fort utiles, même devenir un enrichissement pour le projet associatif de la FSGT.
Évoquons rapidement quelques pistes qui devraient y concourir… La première d’entre elles serait de faciliter, sous des formes adaptées, l’expression du ressenti. En restant trop souvent centrés sur le fonctionnel, nous étouffons l’expression des émotions, voire parfois même des opinions. Permettre l’expression de ces « non-dits » devrait enrichir notre action collective.
Il faut également des « lieux pour dire », des endroits et des moments pour permettre à chacune et chacun de s’exprimer sur les différents aspects de la vie associative. En clair, si un problème réel n’a pas de lieu pour être discuté, c’est qu’il y a un problème d’organisation ou de vie démocratique.
La clarification du projet et du fonctionnement associatif est également nécessaire. Tou·tes les bénévoles pensant agir de « bonne foi », énoncer distinctement les idées qui structurent ce projet constituerait un appui solide pour la cohésion.
Comme les désaccords sont inhérents à la vie associative, il nous faut aussi des lieux et des règles pour les « travailler ». L’essentiel n’est pas de « trancher », mais d’arriver à présenter la cohérence et la logique des différents points de vue.
Enfin, la formation des responsables associatifs sur la compréhension des phénomènes humains est essentielle. Quels que soient leurs statuts, les dirigeant·es sont confronté·es à toute la complexité des conduites humaines. Une sensibilisation adaptée à la dynamique de groupe, aux motivations militantes et à l’action collective devrait les aider à mieux prendre en compte la dimension affective et existentielle qui se trouve à la source de l’engagement.
Pour finir sur une perspective optimiste, on peut imaginer une vie associative éducative, qui contribuerait autant à la réalisation de sa vocation qu’au développement des bénévoles et des adhérent·es de l’organisation. En cela, elle esquisserait modestement, mais concrètement, une autre forme du vivre ensemble et une autre manière de faire société.
Collectif FSGT recherche-action sur la souffrance dans et par la vie associative
Pour comprendre la source de la souffrance : un exemple inventé de toute pièce
Responsable du matériel sportif d’un club depuis plusieurs années, Tom est un bénévole particulièrement actif. Depuis le décès de sa femme, l’association a pris une importance encore plus grande dans sa vie. Mais cette année, de nouveaux adhérent·es arrivent avec des idées pour s’occuper du matériel… Ces nouvelles propositions sont peu à peu validées par les instances du club malgré la réticence de Tom. Après une période d’opposition ouverte, ce dernier cessera les fonctions qu’il occupait depuis des années. Ce qui n’est qu’un différend, sans incidence aucune sur le projet de l’association, va être vécu par Tom comme une blessure. Au-delà de l’organisation du matériel, c’est le sens qu’il donne à son engagement dans le club qui est atteint. Celui-ci ne disposant pas de lieu pour exprimer sa souffrance, les discussions resteront centrées sur l’efficacité du rangement et de l’entretien du matériel et cet homme ressentira cela comme une remise en cause de sa personne et de son activité. Perdant les bénéfices secondaires qu’il trouvait dans son activité associative (la reconnaissance des autres, une bonne image de lui-même, l’exercice de responsabilité, des relations sociales valorisantes, etc.), Tom entrera-t-il en conflit ouvert avec le club avant de le quitter brusquement ? Collectif
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