Parmi les places fortes du sport travailliste en Europe, la région scandinave occupe une place singulière. Les fédérations ouvrières y étaient puissantes et reconnues, bien plus qu’en France, et servaient de ce fait de modèles à suivre…
En Scandinavie, région du nord de l’Europe qui regroupe la Norvège, la Suède, la Finlande et le Danemark, la naissance du sport travailliste s’avère plus précoce qu’on le pense. En effet, dans le Grand-duché de Finlande, alors territoire de l’Empire russe, le parti social-démocrate développe, dès 1899, un vaste réseau associatif, en particulier via des työväen yhdistykset (« maisons du peuple »), qui propose notamment des activités athlétiques.
Au moment de l’indépendance finlandaise en 1917, ce réseau rassemble déjà près de 150 associations gymniques et sportives réunissant plus de 10 000 membres. Pas complètement séparé du sport bourgeois, le sport ouvrier fournit de grands champions, tel Hannes Kolehmainen, triple médaillé d’or en athlétisme aux Jeux olympiques de Stockholm de 1912.
Il faudra néanmoins attendre la fin de la Première Guerre mondiale pour voir apparaître des fédérations sportives travaillistes autonomes dans les pays scandinaves. Suivant les consignes de l’Internationale communiste des jeunes, branche du Komintern soviétique, les communistes norvégiens fondent ainsi l’Arbeidernes idrettsforbund en 1924.
Forte de quelques milliers de licencié·es, cette fédération se heurte toutefois à la nécessité de concilier sa ligne idéologique avec la réalité du terrain. Au moment de la première Conférence technique et méthodique de l’Internationale rouge des sports, organisée en 1927 à Moscou, un délégué norvégien précise que les performances et les prix décernés aux vainqueur·es continuent de jouer « rôle de premier plan »¹ dans la structure.
« Nous devons en effet tenir compte des longues traditions du mouvement sportif bourgeois de notre pays. »
Si une nation scandinave pouvait compter plusieurs fédérations ouvrier·ères en son sein (en raison de la fracture au sein du mouvement européen autour de la révolution bolchévique), le mécanisme unitaire à l’œuvre à partir de 1934 va également les concerner. Les sportifs et sportives travaillistes de Scandinavie commenceront de la sorte à se rendre dans les grands événements s’inscrivant dans cette démarche.
Exemple en août 1934 avec le « Rassemblement des sportifs contre le fascisme et la guerre impérialiste » qui annonce la naissance de la FSGT en décembre de la même année. Dans le tournoi de football proposé lors du Rassemblement, l’équipe norvégienne, alors une des meilleures du sport ouvrier international, est présente et défie l’URSS en finale. Deux ans plus tard, des délégations scandinaves sont attendues pour l’Olimpiada popular de Barcelone², mais celle-ci ne peut se tenir en raison du coup d’état du général Franco.
Solides fédérations
Ses cadres, communistes comme socialistes, les ayant fréquenté dans les Internationales sportives ouvrières, la FSGT prête une attention particulière aux fédérations scandinaves et relaie leurs initiatives. Dans le Sport, organe de presse de la Fédération et ancêtre de Sport et plein air (SPA), du 31 juillet 1935, on apprenait ainsi que « les 6 et 7 juillet, à Oslo (Norvège), se disputaient des rencontres en athlétisme entre les sélections finlandaise et norvégienne. »
Quatre ans plus tard, Sport évoquait le déplacement de trois dirigeants de la FSGT en Norvège pour assister au congrès l’Arbeidernes idrettsforbund :
« L’AIF, c’est-à-dire la fédération travailliste, groupe plus de 90 000 membres, alors que l’ensemble des autres fédérations bourgeoises n’en groupe que 160 000, à peine deux fois plus. »
Si la Suède reste neutre pendant la Seconde Guerre mondiale, ce conflit va particulièrement éprouver le reste de la Scandinavie. Au Danemark et en Norvège, l’occupation allemande se révèle cruelle et la Finlande choisit le camp nazi dans sa guerre contre l’URSS… Néanmoins, les fédérations sportives ouvrières vont conserver une certaine audience après 1945.
Le poids de ces dernières, et surtout leur reconnaissance, suscitent presque de l’envie pour la FSGT qui subit alors un certain ostracisme du gouvernement français et des fédérations délégataires avec l’étiquette « communiste » qui lui colle à la peau en pleine guerre froide.
Dans le Sport et plein air de mai 1954, la comparaison, faisant mine d’ignorer des contextes politiques pourtant distincts, est d’ailleurs mise en avant :
« Dans des pays comme l’Autriche, l’Italie (et) la Finlande, les fédérations travaillistes entretiennent, avec les fédérations dirigeantes, des rapports excellents et fructueux pour la prospérité du sport. »
La Tul, ce modèle
À partir des années 1960, la Tul, la fédération ouvrière finlandaise (Suomen työväen urheiluliitto), devient la principale partenaire de la FSGT dans cette partie du Vieux Continent. Des échanges sportifs réguliers sont mis en place et notamment au niveau de la natation. « La rencontre Tul-FSGT a été d’un intérêt très soutenu », était-il expliqué dans un article de Sport et plein air (juillet 1962) relatant le déplacement d’une délégation de Finlande venue affronter des nageurs de la Fédération à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne).
« On savait au départ que les Finlandais étaient redoutables, mais nos représentants ont donné le meilleur d’eux-mêmes et le score final est bien moins lourd qu’on ne pouvait le craindre. »
En outre, la Tul organise de grands rassemblements à Helsinki qui forcent l’admiration des Français·es qui s’y rendent… « Les Fêtes sportives et gymniques organisées par la fédération travailliste de Finlande, qui groupe 285 000 membres, ont connu un succès considérable », révélait SPA en juillet 1963.
« La presse, la radio, la télévision accordèrent une place importante à cet événement qui coïncidait avec le cinquantenaire du Mouvement sportif travailliste international. Le fait que le président de la République finlandaise (...) assista personnellement à la journée de clôture en souligne l'importance. »
Aux yeux de la FSGT, la place de la Tul dans la société finlandaise s’affirme comme un modèle de réussite du sport ouvrier. « La Tul est une des plus puissantes unions du Comité sportif international du travail », saluait Sport et plein air en septembre 1984.
« Dix pour cent de la population finlandaise en est membre. »
« Y a t-il jamais eu un mouvement sportif travailliste aussi fort et organisé qu'en Finlande ? », interrogeait aussi SPA dix ans plus tard.
Si les relations avec la Tul sont particulièrement solides à cette époque, celles avec les organisations ouvrières d’autres pays de Scandinavie perdurent toutefois. En 1990, trois jeunes de l’Entente sportive de Vitry (Val-de-Marne) participent par exemple à un camp d'été d’un club de Göteborg, en Suède, et une équipe de la Dai (Dansk arbejder idrætsforbund, une fédération danoise), se rend dans le Comité des Bouches-du-Rhône en 2006 pour tester le football autoarbitré à 7 de la FSGT lors d’un tournoi.
Rasmuck Maack, responsable de la délégation, résumait cette expérience dans le Sport et plein air de juillet-août :
« Au départ, nous étions assez nerveux et nous pensions que la rencontre serait tendue et que ça se terminerait en insultes. Mais nous nous sommes trompés ! Sans arbitre, nous avons constaté que le match était bien plus fair-play (…) À notre retour, nous avons pris contact avec les responsables de la Dai pour organiser un tournoi de ce type au Danemark. »
C’était désormais au tour de la FSGT d’être considérée comme un modèle par ses camarades scandinaves…
¹ André Gounot, Le sport travailliste européen et la fizkul’tura soviétique : critiques et appropriations du modèle « bourgeois » de la compétition (1893-1939), Cahiers d’histoire.
² En juillet 1936, l’Olimpiada popular de Barcelone se voulait être la réponse aux Jeux olympiques de la honte accueillis à Berlin, par le régime nazi, la même année. La FSGT s’y investira largement.
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