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Dangereuse caféine ?   

Dernière mise à jour : 1 oct.

Cette substance stimulante est très prisée des Français·es. Mais sa consommation constitue-t-elle un problème pour la pratique sportive ?

 

© Lucie Doyen
© Lucie Doyen

La caféine est-elle un produit dopant ? Gérard Dine, médecin en biotechnologie et interrogé par L’Équipe en 2024, répondait tout en nuance : « Administrée à dose efficace, elle stimule le système nerveux et joue aussi un rôle de navette, facilitant la transformation des acides gras (lipides) dans le cycle de production de l’ATP - la source d’énergie des cellules -, apportant ainsi un surplus énergétique lors des efforts longs ». Le patricien apporte toutefois une précision : « L’apport reste évidemment minime comparé à l’EPO, mais utilisé intelligemment sur des efforts très énergivores (deux à trois heures), cela peut s’avérer intéressant ».


Ces propos résonnaient particulièrement dans le contexte du Tour du Pays basque qui venait de se tenir. Le peloton avait été secoué et traumatisé par une chute collective que certains compétiteurs et journalistes attribuaient à une consommation excessive de café par les coureurs. Ironie du sort : ces sportifs, scrutés au moindre soupçon de « triche », n’ont officiellement plus le droit qu’à ce seul stimulant du quotidien pour soutenir leurs cadences infernales et partager, en marge de la compétition, un rare moment de convivialité entre eux ou avec leur staff. Tout le paradoxe de la caféine apparaît alors. Un doute sur sa consommation qui jette un voile de suspicion pour un produit pourtant devenu extrêmement banal dans le quotidien de tout à chacun·e.


Cette ambivalence n’est pas nouvelle. Le potentiel de la caféine a longtemps poussé les institutions sportives à l'interdire. Durant des décennies, le CIO, la Fédération internationale d’athlétisme et l’Union cycliste internationale l’ont inscrite dans leurs listes de produits prohibés. L’Agence mondiale antidopage ne l’a finalement retirée que récemment, en 2004. Mais la défiance demeure et, par de nombreux aspects, la caféine est davantage tolérée que véritablement acceptée. Lors des contrôles, sa concentration dans les urines continue d’être surveillée, non pas dans le but de sanctionner, mais afin de détecter d’éventuelles consommations excessives, pouvant révéler des habitudes problématiques, voire masquer d’autres comportements chez les sportifs·ves concerné·es.


À titre d’illustration, un médicament, le Guronsan, combinaison de vitamine C, caféine et glucuronamide, a longtemps été le chouchou des vestiaires. Un seul comprimé équivalait à cinq ou six tasses de robusta, de quoi offrir un coup de fouet immédiat. Très populaire dès les années 1980, notamment à la mi-temps des matchs de football, il symbolisait cette frontière poreuse entre stimulant légal et dopage. En 2016, le quotidien allemand Bild accusa même l’équipe de France masculine de football d’y avoir eu recours lors de sa demi-finale victorieuse contre l’Allemagne pendant le Championnat d’Europe. Il convient également de noter que ce produit avait séduit de nombreux étudiant·es, qui le considérait comme une sorte de « cocaïne du pauvre », licite et peu onéreuse, un soutien bienvenu avant les examens. 


« L’apport (de la caféine) reste évidemment minime comparé à l’EPO, mais utilisé intelligemment sur des efforts très énergivores (deux à trois heures), cela peut s’avérer intéressant ». Gérard Dine, médecin en biotechnologie, L'Équipe (2024)

Pour comprendre l’ambiguïté entourant la caféine - ni tout à fait dopant, ni totalement anodin -, il convient d’apporter quelques précisions scientifiques. Son véritable nom est la 1,3,7-triméthylxanthine, un alcaloïde stimulant appartenant à la même famille que la théobromine du cacao ou la théophylline du thé. Elle se retrouve, à l’état naturel, dans plus de soixante plantes à travers le monde.


De nos jours, la caféine a envahi notre quotidien. En plus du café et du thé, vous la rencontrez, entre autres, dans la guarana brésilienne, le maté sud-américain, la majorité des boissons énergisantes, de nombreux sodas (consommés à raison d’environ 20 litres par personne chaque année en France) ainsi que dans certains médicaments. Sa consommation dépasse donc largement le simple rituel du kawa matinal ou pris à la hâte au comptoir d’un bistrot. Les statistiques ne trompent pas et éclairent l’ampleur du phénomène. 80 % des Français de 18 à 65 ans boivent du café chaque jour, principalement au petit-déjeuner (62 %) ou au travail (76 %). La consommation annuelle moyenne atteint environ 5,5 kilos par habitant, soit deux tasses quotidiennes. Autant dire que la caféine rythme la vie sociale.


Cette banalisation n’est pas sans comporter de risques ni entraîner certains excès. L’autorité européenne de sécurité des aliments recommande de ne pas dépasser 272 mg par jour, soit environ trois tasses de cafés filtres. Or, selon l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation de l'environnement et du travail, 30 % des adultes dépassent régulièrement ce seuil considéré comme anxiogène, et 7 % atteignent même le seuil de toxicité chronique, mettant ainsi leur santé en danger. Cela dit, en retour, consommée avec modération, la caféine pourrait au contraire exercer un effet protecteur face à certaines pathologies, comme la maladie de Parkinson, Alzheimer, certains cancers (notamment celui du foie) ou encore le diabète de type 2.


Dans le domaine sportif, la caféine est tout sauf un simple substitut socialement accepté du dopage chimique. Si ses bénéfices sont connus et reconnus dans le cadre des activités d'endurance, c'est également le cas dans d'autres pratiques. Elle améliore par exemple la force maximale et la vitesse de contraction musculaire, tout en stimulant la motivation. Autant de leviers précieux quand il s'agit de viser la performance ou simplement l’accompagnement d’une pratique de santé et de bien-être. Les recherches scientifiques ont régulièrement souligné ce point. Selon l’Académie américaine de médecine du sommeil, les effets de la caféine sont optimaux 30 à 60 minutes après ingestion, et son absorption complète par l’organisme prend entre trois et six heures selon le métabolisme de chacun. Idéal pour de nombreux sports.


Cependant, son usage doit prendre en compte les dangers induits par un recours exagéré. La caféine peut générer des effets secondaires indésirables et parfois contre-productifs : augmentation du rythme cardiaque (dangereuse pour les personnes souffrant d’arythmies ou d’hypertension), nervosité, anxiété ou perturbation du système nerveux. Diurétique léger, elle accroît la production d’urine, gênante pendant l’effort. À forte dose, elle provoque des troubles digestifs, notamment si elle est consommée à jeun. Son impact sur le sommeil demeure néanmoins le principal écueil : en perturbant l’endormissement et en réduisant la qualité de la récupération, elle peut, à terme, annuler les bienfaits du sport, pourtant censé favoriser un meilleur repos nocturne. Or la caféine se cachant dans une multitude de produits, l’athlète peut dépasser les seuils sans même s’en apercevoir...


À cette complexité physiologique s’ajoute une dimension économique. Les grandes marques de sodas ou de boissons énergisantes associent volontiers leurs images au sport via le sponsoring. Derrière les logos sur les maillots et les podiums, l’objectif reste de banaliser la consommation et de l’augmenter, quitte à occulter les précautions sanitaires (aussi bien pour la caféine que pour le sucre). En résumé, la caféine incarne à merveille le paradoxe du sport moderne et de son rapport à la santé. Elle peut améliorer la performance ou simplement faciliter l’effort, à condition de rester dans les limites recommandées et de privilégier sa consommation dans ses formes les plus naturelles.


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