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Jade Lindgaard I « Il y a un décalage criant entre les moyens des JOP & leurs retombées dans le 93 » 

Dernière mise à jour : 3 avr.

Jade Lindgaard est journaliste à Mediapart et réside à Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis. Ayant pu observer le décalage entre les promesses faites à ce département autour des prochains JOP et la réalité du terrain, elle publie un livre (Paris 2024 - Une ville face à la violence olympique aux éditions Divergences) qui offre déjà un bilan peu reluisant de l’événement… 


© Éditions Divergences 

Le fameux héritage des Jeux olympiques et paralympiques (JOP) de Paris 2024 est de plus en plus mis en avant, et de nombreux élus de Seine-Saint-Denis se félicitent des investissements qui arrivent enfin dans leur département. Dans votre livre, vous dressez pourtant un bilan nettement moins favorable…   

 

Jade Lindgaard : Les JOP représentent d’abord beaucoup d’argent, notamment public, et donc effectivement des investissements sensés ruisseler. Une partie de cette manne va, de fait, retomber dans le 93, qui accueille de nombreux sites allant ensuite devenir des quartiers d’habitation. On peut également citer la construction d’un pont, de pistes cyclables, de quelques piscines… Toutefois, si nous regardons le marché de l’emploi, qui demeure une question cruciale dans le département, avec un taux de chômage au-delà de 10 %, et si l’on se fie aux chiffres de 2023, les PME situées sur ce territoire ne récupèrent que 15 % des commandes olympiques. En outre, à peine 10 % des heures de programmes d’insertion concernent des résidents du cru. Tant mieux pour eux, mais mettre le budget de 4,5 milliards d’euros de la Solideo [l’établissement public chargé des infrastructures olympiques et paralympiques] face aux 1 694 habitants qui en profitent pour leur insertion professionnelle éclaire ce décalage criant entre les moyens et les retombées. 

 

Le village olympique, qui vient d’être livré, illustre-il cette problématique ?  

 

Jade Lindgaard : Deux milliards d’euros ont été injectés dans ce village. Cependant, les bâtiments qui doivent se transformer en appartements ne compteront que 30 % de logements sociaux. Pour acquérir ces futurs biens, il faudra donc un niveau de vie et des revenus qui autorisent l’accès au crédit bancaire, ce qui laisse clairement de côté une grande partie de la population locale. C’est un indicateur de l’écart entre le marché imaginé par les investisseurs immobiliers et la situation des gens qui y habitent ou qui souhaiteraient y habiter. À titre de comparaison, le budget de l’Agence nationale de rénovation urbaine pour la Seine-Saint-Denis tourne autour de 2,3 milliards d’euros. L’État a donc lâché quasiment autant de fonds pour 12 000 « clients » que pour la rénovation des quartiers populaires de tout le 93, soit 600 000 âmes.  

 

Autre point que vous soulevez, l’absence de démocratie quant à l’organisation des Jeux…  

 

Jade Lindgaard : Déjà ; aucun référendum ou aucune votation citoyenne n'a été organisé, ni à Paris ni en Seine-Saint-Denis. Dans les villes où ce fut le cas par le passé (Boston, Hambourg…), la réponse a toujours été négative. Ensuite, on constate une absence de consultation auprès de la population. Il y a seulement eu quelques réunions qui se résumaient concrètement à des moments d’information. Des collectifs se sont pourtant formés très rapidement. Ils n’étaient pas par principe opposés aux JOP. Toutefois, un certain nombre de problèmes ont suscité leur réaction : la construction d’une voie d’autoroute à proximité d’un groupe scolaire, l’absence d’un plan piscine pour l’ensemble du département, la disparition de jardins ouvriers … Beaucoup ont joué le jeu de la démocratie participative, avec des propositions, des contre-projets qui ont été remis à la Solideo ou au comité d'organisation de Paris 2024, mais ils n’ont jamais été pris au sérieux. Cela nous fournit un bon indicateur sur la manière dont fonctionne notre démocratie face aux JOP, un événement structuré de manière verticale, avec au sommet le CIO. Une fois la machine mise en branle, rien ne peut changer. Le résultat reste que les investissements se sont décidés, non au regard des besoins et ou des demandes de la population, mais selon la seule vision des organisateurs. 

 

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