Guillaume Dietsch, Nicolas Kssis et Seghir Lazri nous ont fait parvenir une tribune sur les JOP de Paris 2024…
« Le bonheur ne crée rien que des souvenirs », disait Balzac. Les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 se limiteront-ils à cet enthousiasme bleu-blanc-rouge qui a saisi la nation ? Comment ne pas comprendre que le peuple français ait éprouvé un tel besoin, aussi bien intime que collectif, après un mois de juin anxiogène, marqué par le traumatisme d’une campagne électorale imposée par Emmanuel Macron ? Même les cris d’orfaie du RN et de ses porte-voix devant la cérémonie d’ouverture, après avoir promis l’apocalypse et la guerre civile en marge des épreuves, sont restés inaudibles. Y compris dans leur électorat, qui aspirait également à souffler. La France a réappris à s’aimer un peu, les victoires ont au moins ce mérite.
Paris a donc accueilli des Jeux qui ont ravi le peuple et émerveillé le monde, mais l’enthousiasme fut loin d’envahir tous les recoins de la ville lumière. La capitale s’était en effet vidée d'une partie de ses habitant·es… Le bilan économique reste également à établir, notamment dans le commerce. Les premiers chiffres qui tombent sont loin d’être aussi réconfortants que promis. Et que dire du « nettoyage social » (SDF, réfugié·es ou travailleurs·ses du sexe) évoqué dans un rapport de l’association Le Revers de la médaille (lire encadré ci-dessous) ?
Toutefois, aucun couac notable dans l’organisation ne fut à regretter. Les médailles tricolores n’ont pas manqué, et la France, a fini cinquième du classement.
Les médailles : fruit du réseau associatif
Paris a offert un cadre somptueux et les photos du Trocadéro ou de la Concorde transformés en temples sportifs vont ancrer la légende des Jeux dans les cœurs et les esprits. Cassandre Beaugrand, Antoine Dupont, Léon Marchand, Teddy Riner… Les héros et héroïnes du peuple sont immortel·les dans l’instant d’une parenthèse enchantée. Les plateaux TV vibrèrent à l’unisson. Ce qui laissait croire que la rentrée s’ouvrirait sur la page blanche d’un pays réconcilié.
Néanmoins, sous la légèreté jouissive de ces semaines estivales à la météo parfois incertaine, les problématiques de fond n’ont pas disparu. Alors que s’égrènent toujours le lieu commun d’une France qui ne serait pas sportive, trop peu de personnes rappellent à quel point ces médailles furent le fruit d’un vaste réseau d’associations, rassemblant près de 17 millions de licencié·es encadré·es par plus de trois millions de bénévoles, soutenues par les collectivités, les pouvoirs publics, le ministère… Les Français et Françaises peuvent légitimement considérer et célébrer ces breloques comme les leurs, le résultat d’un long effort commun, mais surtout d’une solidarité nationale qui a construit les stades, les gymnases, les piscines où se sont d’abord murmurés les futurs cris de joie.
La réduction du fameux héritage
Qu’adviendra-t-il désormais ? Le nouveau ministre des sports au sein du gouvernement Barnier, Gil Avérous, semble résigné. Le maire de Châteauroux a en effet acté le rabotage du budget des sports qui s’élèverait, selon les modes de calcul, à plus de 200 millions d’euros.
Les missions de l’Agence nationale du sport, que certain·es désirent recentrer uniquement sur le haut-niveau, à l’instar de ce qui existe en Grande-Bretagne depuis Londres 2012, sont menacées. De leur côté, les élu·es au sport craignent de se retrouver étranglé·es et contraint·es dans leur action par une logique d’austérité étouffante pour les collectivités. Ces quelques exemples illustrent la réduction du fameux héritage.
Par ailleurs, les divisions sociales et politiques reviennent déjà hanter l’actualité et la démagogie du temps d’antenne. Quelle place occupera le sport une fois sauvegardées les stories Instagram dans le cloud, le Grand Palais et le Château de Versailles rendus à leur mission première ? Pour la population, que restera-t-il de ces enceintes sportives éphémères ? Il n’est pas certain que les doux souvenirs transforment durablement la situation de l’EPS dans les collèges délabrés de Seine-Saint-Denis. En outre, la qualité des transports franciliens a déjà recommencé à se dégrader pour les usager·ères du quotidien.
Le gouvernement a aussi clairement le projet de pérenniser la vidéosurveillance algorithmique expérimentée durant les olympiades. Une dérive sécuritaire justifiée par « l’exemple » des JOP, et qui entraînera l’instauration d’outils de contrôle menaçants les libertés publiques.
Enfin, l’accès à la Seine sera-t-il égalitaire dans une métropole soumise à un réchauffement à venir ? Comment fonctionneront les clubs de VTT en Ardèche ou de rugby en banlieue de Toulouse, loin de l’effervescence qu’ils n’auront vécu que par écran interposé ?
D'autres enjeux s’imposeront dans l’agenda des années ou décennies à venir : la question du genre et de l’inclusion en EPS, le développement durable, le sport-santé, l’émancipation à travers des pratiques non compétitives, l’accès des populations défavorisées aux activités sportives alors que le secteur privé ne cesse de grignoter les parts de marché. Cette saison, les nouveaux pratiquant·es et les clubs auront besoin d’être soutenus et accompagnés. C’est à ce prix que les Jeux de Paris seront une réussite populaire.
Plus de 20 000 déplacé·es à cause des JOP !
Le 4 novembre dernier, l’association Le Revers de la médaille, qui rassemble une centaine de structures de solidarité, a rendu public un rapport dénonçant « un nettoyage social minutieux » à cause des JOP, avec le déplacement forcé d’au moins 20 000 personnes, et l’inquiétante présence de « forts signaux anti-démocratiques ». Interviewé par Le Bondy Blog le même jour, Paul Alauzy, porte-parole du collectif, a détaillé la gravité du bilan :
« Ça concerne tous les publics qui sont à la rue ou en habitat précaire dans la région Île-de-France. Il y a des personnes identifiées comme roms ou voyageuses, exilées, que ce soient des familles, hommes seuls ou mineurs, travailleurs, travailleuses du sexe... Il y a ensuite les sans-abris, qu’on peut aussi appeler grands précaires ou marginalisés, et les usagers et usagères de drogues. »
« Mais ce qui est dingue, c’est le nombre d’évacuations », poursuivait-il.
« On en comptait 160 il y a deux ans, 180 il y a un an. Cette année, sur cette période-là, on est déjà sur 260 opérations d’expulsion. »
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