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René Moustard & Anwar Abu Eisheh : une amitié à l’ombre de la solidarité

Les relations de la FSGT avec la Palestine sont liées à la rencontre entre ces deux hommes. 

1982, réception après le premier match de football France-Palestine organisé par la FSGT en région parisienne. Au micro se trouve René Moustard et Anwar Abu Eisheh est à sa gauche.
1982, réception après le premier match de football France-Palestine organisé par la FSGT en région parisienne. Au micro se trouve René Moustard et Anwar Abu Eisheh est à sa gauche.

Nous publions ici un extrait du livre de René Moustard (Militant du sport populaire, Libertalia), ancien coprésident de la FSGT, dans lequel il raconte notamment sa rencontre avec Anwar Abu Eisheh, futur ministre de la culture au sein de l’Autorité palestinienne, au début des années 1980. 

 

René, ta relation avec la Palestine, par l’intermédiaire de la FSGT, est indissociable de ton amitié avec Anwar Abu Eisheh ?

 

René Moustard : Ma relation avec les Palestiniens a été très forte parce que j’ai eu la chance d’aller dans leurs lieux de vie. Le 9 août 2011, j’ai recueilli le témoignage d’Anwar chez moi à Thiais. Nous avons évoqué nos souvenirs communs, trente ans d’amitié, de fraternité, de coopération. Il venait de fêter ses 60 ans. J’ai écrit ceci : « Je suis personnellement reconnaissant à Anwar de tout ce qu’il m’a apporté sur son expérience et tout ce qu’il m’a appris sur les Palestiniens. Sans lui la coopération entre la FSGT et le sport palestinien n’aurait pas pu être ce qu’elle a été. » Même s’il ne pouvait pas venir, les relations par téléphone, puis par mail, avec les clubs palestiniens étaient relayés depuis la France par Anwar. La FSGT a pris goût à animer des stages en Palestine. On a coopéré avec des professeurs d’éducation physique français. Donc, comme je te l’ai dit, j’ai rédigé douze pages sur la vie d’Anwar Abu Eisheh depuis l’école primaire à Hébron jusqu’à son expulsion. Il a été emprisonné, torturé en Israël. Il y a eu un massacre de Palestiniens en Jordanie et Anwar a failli y passer. Il a été exilé en Algérie où il a commencé des études de droit. Son arrivée en France a été épique… 

 

Peux-tu revenir sur les circonstances de votre rencontre ? 

 

René Moustard : En 1980, Anwar participe au congrès de la CGT à Argenteuil en tant que président de l’Union des étudiants palestiniens en France. Lors de ce congrès il rencontre un militant de la FSGT d’Argenteuil qui lui suggère de prendre contact avec la FSGT. Les préoccupations d’Anwar étaient politiques et il ne connaissait rien au sport. Avec la FSGT, il découvre ce que le sport peut apporter à son combat. Anwar est un militant intelligent, partisan de la non-violence. Anwar a été fedayin en Jordanie. Il est arrivé à la conclusion que le déséquilibre des forces avec l’armée israélienne ne sera jamais modifié et que l’espoir d’une armée de réfugiés palestiniens n’a pas de sens. Pour lui, il fallait mener la lutte en repartant de la base, c’est-à-dire de la population civile. Malheureusement, cette ligne n’a pas été suivie d’effets. 

 

René, une archive de Sport et plein air 1 illustre la coopération étroite qui se met en place entre la fédération et le sport palestinien à l’époque : « Du 20 au 23 octobre 1981 le conseil sportif de l’OLP a effectué un séjour en France pour s’informer, rendre visite à des clubs de la FSGT et engager des discussions avec la direction. Celles-ci ont abouti à un accord qui a fait l’objet d’un texte signé par René Moustard, président, et Khalil Alayan, membre du conseil exécutif des sports de l’OLP. Le texte indique que la FSGT reconnaît officiellement le conseil des sports comme représentants qualifiés des sportifs palestiniens à partir de ce statut. »

 

René Moustard : Julien, cette séquence en a entraîné une autre aussi importante. Du 20 au 24 février 1982, accompagné d’Anwar, je me rends à Beyrouth, invité par le conseil de la jeunesse et des sports de l’OLP. C’était une mini-société au Liban. J’ai donc fait ce séjour très instructif avec Anwar de « pénétration » dans cet espace palestinien. Je me souviens que ma première impression en arrivant à l’aéroport de Beyrouth, c’est que j’étais en Palestine et non au Liban ! Pourquoi dis-je ça mon cher Julien ? Parce que l’organisation palestinienne à Beyrouth commençait à l’aéroport par un espace dédié où j’ai été accueilli. J’ai été très surpris de cette découverte. Ensuite, en sortant de l’aéroport, je suis rentré très vite dans un contexte où le militaire est très présent. Il y avait des soldats palestiniens armés de mitraillettes aux carrefours. Ça m’a frappé. Je posais des questions à Anwar parce qu’il connaissait le Liban. Le grand stade de football à Beyrouth, Camille-Chamoun, de 48 000 places, avait accueilli les Jeux méditerranéens en 1959. Au moment de ma venue ce stade était complètement délabré. Il a été bombardé par l’armée israélienne. C’est là que j’ai vu les premiers Palestiniens qui jouaient au football. J’étais à l’hôtel. Il me semble que c’était près des camps de Sabra et Chatila. Il y avait des milliers de réfugiés dans ces camps. Un matin, il y avait du bruit. C’était une ambulance qui était venue suite à un affrontement. Il y avait eu des morts. Anwar m’a dit que c’était quotidien. Par la suite, j’ai visité des hôpitaux, des camps de réfugiés en Palestine qui ressemblaient à ça, avec des cabanes de tôle et de planche. Il n’y a rien du type institutionnel ou étatique. C’est la débrouille permanente du matin au soir pour les habitants des camps, avec de grandes difficultés d’approvisionnement avec les Nations unies. La visite des camps d’entraînement palestiniens m’a fait une impression bizarre. 

 

Pourquoi ?

 

René Moustard : Quand j’ai vu le matériel militaire rudimentaire, des mitrailleuses sur des camions, j’ai eu des doutes, que je n’ai bien sûr pas exprimé à mes hôtes, sur leur capacité à arrêter l’armée israélienne. Je n’ai hélas pas pu voir Arafat. Une autre dirigeante de la FSGT qui m’a succédé, Lydia Martins Viana, l’a rencontré par la suite. Je me souviens avoir été interviewé pendant mon voyage par le journal interne de l’OLP sur la situation géopolitique. Nous n’avons pas pu établir de relations entre la FSGT et les camps de réfugiés. C’était trop compliqué. Dès le 6 juin 1982, l’armée israélienne est intervenue avec ses tanks et ses avions pour mettre fin à « l’implantation palestinienne ». Les Palestiniens étaient retranchés dans le quartier-ouest. La France de Mitterrand a joué un rôle intermédiaire et une trêve de quelques jours a permis à Arafat et aux combattants palestiniens de quitter Beyrouth pour la Tunisie. Tous les projets de l’OLP reposaient à l’époque sur leur implantation au Liban. Ça a été un changement très important pour eux. Ça a aussi entraîné un changement de cap pour la FSGT. 

 

Quel a été ce changement de cap ? 

 

René Moustard : On a eu la volonté d’aller à la rencontre des Palestiniens dans les territoires occupés, en Cisjordanie et à Gaza. Au comité central du Parti communiste français, Alain Gresh 2 m’a renseigné sur le contexte israélo-palestinien auquel je ne connaissais rien. Avec Anwar, j’avais la connaissance du fonctionnement de l’OLP, mais pas celle des territoires occupés palestiniens. Alain Gresh m’a convaincu de ne pas me contenter de la relation avec l’OLP et d’entrer en relation avec des interlocuteurs locaux, les responsables de clubs de Cisjordanie et Gaza organisés en ligues. Je me suis coordonné avec un militant communiste israélien pour aller à Hébron en septembre 1982, en passant par Tel-Aviv à l’occasion d’une réunion de la Confédération sportive internationale du travail organisée en Israël, dont faisait partie Hapoel 3. J’ai rencontré des dirigeants du club sportif d’Hébron. J’ai signé un contrat de coopération entre ce club et la FSGT pour établir des relations sportives. C’est ce qui fait que l’équipe nationale palestinienne et le club d’Hébron, le Shabab Al Khalil SC, créé en 1943, sont venus jouer en France dans ces années-là. Ça a été un feu d’artifice dans la mise en valeur de leurs activités. Quand je suis allé à Hébron en septembre 1982, j’ai rencontré la famille d’Anwar Abu Eisheh, lui-même exilé en France. Ça a été un souvenir extraordinaire et la découverte d’une culture que j’ignorais. Anwar m’a recommandé un médecin français dont le cabinet était à Hébron. Par son intermédiaire, je suis arrivé à la maison d’Anwar, dont le père était chauffeur de taxi. C’est d’ailleurs lui qui m’a ramené. À l’entrée de la maison familiale, j’ai failli embrasser la mère d’Anwar et ses quatre sœurs. Elles se sont sauvées tout de suite. Je ne connaissais rien à ces codes. C’est au cours de ce voyage que se sont engagées les relations entre la FSGT et le club de football d’Hébron. J’ai eu affaire à des dirigeants de club issus de la bourgeoisie. J’ai eu du mal à leur faire entendre l’idée qu’aux yeux de la FSGT, les clubs de football des camps de réfugiés étaient tout aussi importants. Avec la FSGT, on a aussi fait une pétition, en vain, pour que le comité olympique palestinien puisse obtenir une reconnaissance minimum.

 

1 Janvier 1982.

2 Journaliste, ancien rédacteur en chef du Monde Diplomatique.

3 Organisation sportive israélienne.


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