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Sport populaire & naturisme

Photo du rédacteur: Nicolas KssisNicolas Kssis

Dernière mise à jour : 28 févr.

Vous pensiez connaître le sport pop' ? Il va falloir vous dévêtir de vos certitudes et affronter les rapports entre la FSGT et le naturisme. 

Illustration : © Collection France Demay
Illustration : © Collection France Demay

 

Le naturisme est clairement difficile à définir et demeure encore l’objet de nombreux fantasmes, avec parfois une confusion avec le nudisme ou la libération des mœurs. Si l’on se place sur le terrain institutionnel, sa fédération internationale le définit comme « une manière de vivre en harmonie avec la nature, caractérisée par une pratique de la nudité en commun qui a pour but de favoriser le respect de soi-même, le respect des autres et celui de l’environnement ».  


Les prémices du naturisme remontent à la philosophie des Lumières, au 17e siècle, et sous l’influence de grands esprits comme Jean-Jacques Rousseau, qui affirmait le besoin pour l’humain de retourner à l’« état de nature », celui de l’innocence perdue. Il s’y ressent aussi une empreinte lointaine du christianisme avec le mythe du paradis perdu d’Adam et Ève. Cette pensée va progressivement intégrer, en particulier avec la révolution industrielle et urbaine, une approche globalisante et holistique de la santé et du bien-être du corps qui inclut l’alimentation ou les loisirs. 


Aujourd’hui, un nouvel engouement se manifeste pour les pratiques de nudité́ dans la nature, une « mode » qui va de pair avec la recherche d’une alimentation saine, végétarienne, ou encore le recours aux thérapeutiques naturelles, à la méditation et au yoga en plein air. Cet élan du naturisme accompagne des mouvements sociaux ou culturels actuels, tels que le rejet des diktats qui pèsent sur les corps (refus du body shaming, etc.) ou la cause climatique.  

 

Mouvement ouvrier & corps libérés 

 

On l’ignore trop souvent, mais la définition et l’appropriation du naturisme, surtout en France, s’avéra complexe et multiple. Et le mouvement et le sport ouvrier, puis la FSGT, en furent partie prenante au fil de l’histoire. Un processus engloutit dans la problématique du plein air et d’une classe ouvrière fragilisée par les conditions de vie dégradées dans les taudis et les usines, menaçant leur santé et leur bien être psychologique. 


Le rôle des militant·es du mouvement ouvrier dans le naturisme est assez documenté concernant la tendance libertaire au sens large. Nous pouvons citer, entre autres, l’anarchiste Louis Radix (1879-1951), fondateur, en 1937, d’un centre naturiste dans la colonie végétalienne de Bascon (Aisne), Henri Zisly, qui écrivit à ce sujet dans le journal L’Anarchie au début du vingtième siècle, ou encore l’Espagnole Valentina Beibide, qui, entre les deux guerres, promut cette école de pensée du côté de Nice, avant de retourner se battre dans son pays d’origine durant la guerre civile.  


Ce fut d’ailleurs durant cette période charnière du Front populaire que la pratique commence à se faire connaître dans le sport ouvrier. Ce dernier vient de réaliser son unité avec la création de la FSGT, née en 1934 de la fusion de la FST (Fédération sportive du travail), communiste, et de l’Union des sociétés sportives et gymniques du travail, socialiste. La structure française des Amis de la nature la rejoint en 1937, devenant son secteur plein air et tourisme, dimension qui constitue une des facettes importantes de la politique des loisirs portée par Léo Lagrange au sein du gouvernement de Léon Blum.  

 

La politique dans le plus simple appareil 

 

Cette imprégnation culturelle mutuelle, dans l’air du temps avec les congés payés et la démocratisation des vacances à la campagne ou au bord de mer, ouvre un chemin aux pratiques naturistes parmi les sportif·ves travaillistes. Les images du fond photographique constitué par les militant·es du Club pédestre de l’étoile rouge, implanté dans le quartier de la Bastille à Paris, en témoignent. Certains de ces clichés en noir et blanc offrent le spectacle libératoire de camarades qui n’hésitent pas, y compris les femmes, à s’exposer dénudé·es en camping ou sur les bords de Marne (voir photo ci-dessus). L’écrivain Didier Daeninckx a d'ailleurs tiré un roman illustré de ce fond : Un parfum de bonheur (Gallimard).  


Ces images éclairent un pan méconnu de cette période, une libération et une émancipation qui paraissent rétrospectivement anachroniques pour ceux et celles qui imaginent que tout a commencé avec Mai 68. Dans la mémoire collective, le mouvement ouvrier, notamment sa composante communiste, était encore prisonnier de son conservatisme et de sa pudibonderie face au corps, surtout féminin. Cette réalité s’avérait certes largement majoritaire, y compris à la tête des organisations et des partis, mais des réflexions et des pratiques associatives commençaient déjà à ouvrir une brèche...  

 

Naturisme bourgeois  

 

Les débats se révèlent alors clivants et idéologiques. Il importe, comme dans le sport, de séparer le bon grain prolétarien de l’ivraie capitaliste. En 1935, les Amis de la nature, qui défendent donc depuis longtemps les bienfaits de la pratique auprès des masses laborieuses, déplorent une évolution trop égotiste de la plupart des associations. « Mais ces groupements, au lieu d’œuvrer dans un esprit collectiviste, l’acheminent vers un individualisme étroit, voisin de l’égoïsme », lisait-on dans leur revue.

« Or, le naturisme doit être mis, non pas au service de quelques joyeux garçons ou filles, bourgeois pour la plupart, qui finissent par se trouver bien entre eux, pourvu que personne ne vienne troubler leur quiétude champêtre, mais au service du prolétariat. »  

Les sportif·ves « rouges » de la FST avaient dressé, en 1934, le même constat. Dans la revue Sport, l'un d'entre eux assurait que les « méthodes d’hygiène alimentaires » de cette pratique et le « retour à la vie simple et saine qu’il préconise » auraient une « grande répercussion sur la mentalité et la morale des individus si nous vivions dans un autre régime que celui du Veau d’or ».  


L’élan antifasciste de 1934 va aussi avoir des répercussions sur ce terrain. L’Union naturiste de France rejoint ainsi les rangs de la FSGT dans la région parisienne et participe, en plus d’initiatives au sein des camps de vacances et de loisirs naturistes de Noisy-le-Grand ou dans la forêt de Fontainebleau, à certaines de ses compétitions classiques, notamment de football (évidemment en tenue réglementaire). Ce rapprochement est finalement logique et en parfait accord avec l’obsession pédagogique hygiéniste qui imprègne le discours officiel du sport ouvrier, pourvu que l’on prenne soin de détacher le naturisme de l’esprit bourgeois, soupçonné de préférer le nudisme, ou égotiste, reproche adressé aux libertaires. 

 

Un fil distendu après-guerre 

 

L’héritage de la pratique dans les rangs de la fédération perdurera par le biais du tourisme populaire et des activités de plein air qu’elle promeut, mais somme toute en pointillé, compte-tenu du poids du puritanisme moral qui prévaudra après la Seconde Guerre mondiale dans la mouvance communiste. Il apparaîtra ponctuellement dans les préoccupations de la FSGT, par exemple au travers de ses relations avec la Fédération française de naturisme. 


Cet enjeu pourra également réapparaître autour du développement des disciplines de plein air, en s’inspirant parfois des modèles étrangers, où ce courant était davantage reconnu. « Le “naturisme” sous toutes ses formes, bien ancré dans ces pays [Allemagne et Suisse] depuis plusieurs dizaines d’années, a peut-être aidé à la diffusion du canoë- kayak », peut-on de la sorte lire dans Sport et Plein air en 1966.  


La récente exposition Paradis naturiste, proposée par le musée des civilisations, de l'Europe et de la Méditerranée à Marseille, prouve que ces problématiques n’ont rien perdu de leur actualité. La question du consumérisme et de la marchandisation, ainsi que de l’enjeu de l’associationisme, continuent d’agiter les débats au sein de ce petit monde. Ces interrogations rentrent particulièrement en résonnance avec un mouvement sportif confronté à l’essor des salles de sports privées, se réclamant également d’un hédonisme individualiste, et à l’offensive du privé sur le « marché » des activités sportives depuis le succès des JOP de Paris 2024. 

 

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