Signes religieux & sport : une nouvelle loi inutile
- Nicolas Kssis
- 30 avr.
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 30 avr.
Visant, sans les nommer, les sportives musulmanes portant le voile, un texte du Sénat provoque l’incompréhension.

Un projet de loi récemment adopté par le Sénat vient de provoquer un mini-séisme dans l’Hexagone. Le texte, tel qu’il est présenté sur le site de la chambre haute du Parlement, « interdit le port de signes ou tenues manifestant ostensiblement une appartenance politique ou religieuse lors des compétitions organisées par les fédérations sportives, leurs ligues professionnelles et leurs associations affiliées ». De plus, il « prohibe tout détournement de l’usage d’un équipement sportif mis à disposition par une collectivité territoriale » et « impose le respect des principes de neutralité et de laïcité dans les piscines. »
Pour rappel, aujourd'hui, le port de signes religieux n’est interdit que pour les salarié·es des fédérations sportives délégataires, les personnes sur lesquelles elles ont autorité (arbitres, cadres techniques, etc.), ainsi que les athlètes sélectionné·es dans leurs différentes équipes de France, ceux/celles-ci étant considéré·es comme des représentant·es du service public du sport. Mais ces dernières années, pas moins de quatorze de ces fédérations ont décidé d’aller plus loin en interdisant le hijab - ce vêtement qui couvre la tête en laissant le visage apparent porté par des femmes musulmanes - en compétition. Une discrimination validée par le Conseil d’État. En 2023, le collectif Les Hijabeuses, un regroupement de footballeuses musulmanes, avait perdu un recours contre la Fédération française de football déposé auprès cette juridiction administrative.
Un gouvernement divisé
Au-delà des considérations législatives ou juridiques, cette séquence s’inscrit surtout dans un climat général délétère autour de l’islam et du port du voile en France. Ainsi, L’After Foot, une émission très populaire diffusée sur RMC, a récemment fait le choix d’inviter une députée, Caroline Yadan (Renaissance), ayant piloté, avec un collègue du Rassemblement national, une mission sur les « dérives communautaristes et islamistes dans le sport » qui avait été fortement critiquée pour son usage d’informations parcellaires et orientées. Un des animateurs de L’After Foot, Walid Acherchour, a ensuite pris ses distances avec ce choix et s’en était expliqué sur ses réseaux sociaux : « Pour un sujet aussi important, je ne peux pas accepter que la base de la discussion soit un rapport approximatif, rédigé par deux politiques qui utilisent régulièrement des propos exclusivement dégradants et islamophobes ». En 2022, l’Institut des hautes études du ministère de l’intérieur indiquait d’ailleurs qu'il n'existe pas de « phénomène structurel, ni même significatif de radicalisation ou de communautarisme dans le sport. Les “radicalisés” sont significativement moins sportifs que la population générale. »
Au sein même du gouvernement, la ministre des sports, Marie Barsacq, avait rapidement exprimé ses réticences face à cette loi et aux amalgames qu’elle supposait. Mais en face, Gérald Darmanin, ministre de la justice, menaçait lui de mettre sa démission en jeu si elle n’était pas adoptée. « Ayons le courage de reconnaître qu’en France, il n'y a qu'un seul communautarisme, un seul séparatisme, qui menace la République : c'est l'islamisme », affirmait de son côté Bruno Retailleau, ministre de l’intérieur (et en charge des cultes), lors d’un rassemblement. Avant de pérorer : « Vive le sport et à bas le voile ! » Ayant d’abord arbitré en faveur de la ligne dure, le premier ministre François Bayrou a finalement rétropédalé, justifiant qu’il ne fallait pas « stigmatiser nos neuf millions de compatriotes musulmans ». On sent bien que dans une période d’austérité annoncée, Matignon n’était pas pressé de voir un texte offrant un boulevard à l’extrême droite apparaître au calendrier de l’Assemblée nationale. Sans compter que de nombreux articles de la loi pourraient être censurés, sur la forme ou sur le fond, par le Conseil constitutionnel.
Colères & incompréhensions
Face à cette loi, les réactions ont été nombreuses dans la société. Le 1er avril dernier, dans la revue Politis, le collectif Les Incorrectes, se réclamant de l’héritage d’Alice Milliat, fustigeait cette loi qui « vise à légaliser une restriction supplémentaire des libertés fondamentales individuelles et collectives, sous couvert d’une nouvelle laïcité synonyme de contrôle social des expressions, des corps et des opinions, qui va dépasser le simple cadre du sport ». Dans un article de Franceinfo, publié quelques jours plus tôt, Jean-Michel Verroux, entraîneur à l'Élan sportif de Montreuil (Seine-Saint-Denis), affirmait pour sa part que « les gamins que je connais, qui font un signe de croix quand ils réussissent ou qui courent avec un voile, ne sont pas dans le prosélytisme ou la revendication ». De nouveau sur Franceinfo (20/03/2025), Bruno Vetticoz, président d’un club d'athlétisme de Gif-sur-Yvette (Essonne), dénonçait l’hypocrisie de ce texte « complètement en contradiction avec nos ordres de mission. On propose des subventions pour aller faire du développement dans les quartiers difficiles, faire de l'inclusion, féminiser le sport… Et là, on nous enlève un public. »
Parmi les premier·ères concerné·es, les sportifs et sportives, prédominaient surtout l’incompréhension. Interviewée par Le Bondy Blog le 20 mars, Houria, jeune basketteuse, ne comprenait pas en quoi sa pratique religieuse constituait un problème, surtout son voile, alors que « les tatouages religieux, placés à des endroits du corps visibles, sont autorisés ». De son côté, le judoka Teddy Riner expliquait sur X : « Je souhaite rappeler que le sport doit rester un espace où chacun peut s'exprimer, s'épanouir et se rassembler dans le respect des règles et de l’éthique sportive. »
Le résultat le plus terrible sera que cette fameuse notion de laïcité, au cœur de la République, va encore perdre davantage de son sens et de son importance dans notre nation. Dans les colonnes du Monde (20/03/2025), le sociologue et philosophe Raphaël Liogier s’en lamentait d’ailleurs : « [La loi de 1905] a été faite pour étendre les droits, pas pour les limiter. Les religions sont censées pouvoir s’exprimer dans l’espace public. Là, il s’agit simplement de créer un texte pour pouvoir continuer à dire : “Les musulmans contreviennent à la loi.” Sans compter que la pratique du sport constitue en soi une opposition à la pratique rigoriste de l’islam. »
Le point de vue de la FSGT
Désirant contribuer à former les citoyen·nes d’une « République laïque et démocratique » (article 1er de ses statuts), la FSGT s’est officiellement positionnée sur ce projet de loi. Elle a signé une tribune intitulée « Les sportives qui portent le voile ont le droit de jouer, comme les autres ! » et parue le 17 février dans Le Nouvel Obs. En voici un (long) extrait : « Cette interdiction ne prend pas en compte les réalités des terrains. En effet, elle constituerait un frein pour des femmes et des filles dont la pratique sportive est déjà bien inférieure à celle des hommes. Elle serait la source d’isolement social, de sédentarité, de mal-être psychologique et d’humiliation supplémentaire, pour les sportives exclues ou obligées d’enlever publiquement leur voile. Elle porterait atteinte à la pérennité des clubs dont l’activité bénévole repose en partie sur l’implication de femmes qui portent le voile. Enfin, elle restreindrait les opportunités de voir des talents français s’épanouir sereinement. En n’entravant pas la pratique du sport, nous favorisons sa féminisation, un objectif que la France s’est fixé, notamment à travers l’organisation des premiers Jeux olympiques et paralympiques paritaires en 2024. »
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