top of page

90 ans FSGT I Guerre froide : quand le sport populaire faisait bloc à l’est

Créée en 1934, la FSGT fête cette année ses 90 ans ! À cette occasion, Sport et plein air a préparé une série d’articles traitant de l’histoire de la Fédération. Dans ce numéro, il est question du soutien, parfois aveugle, du sport populaire au Bloc de l'Est pendant la guerre froide. 

Bucarest, 1952. Rencontre internationale de basket entre une équipe FSGT et une sélection de syndicalistes roumains. Le match s'est soldé, sous un portrait géant de Joseph Staline, par la victoire (71-56) des locaux. © FSGT

1949 ; le monde se divise en deux. Et le sport, malgré ses grandes déclarations d’apolitisme, ne peut y échapper. Il jouera toujours la grande farce de la confrontation pacifiste, surtout depuis que l’URSS a rejoint le concert des nations olympiques, enterrant ainsi ses rêves d’internationalisme sportif... 

La FSGT, fille du mouvement ouvrier, se retrouve en première ligne. En son sein, le fossé se creuse entre socialistes et communistes. Le 1er décembre 1949, sa Commission exécutive vote à l’unanimité - et pour cause, les membres socialistes sont absents ! - l’envoi d’un cadeau au « camarade Staline » à l’occasion de ses 70 ans. Un an plus tard, c’est Maurice Thorez, qui sera honoré pour ses 50 printemps.

Le présent se veut hautement symbolique. Il s’agit d’un tableau, un peu pompier, représentant Seraphim Znamensky, célèbre coureur de fond soviétique décédé durant la « Grande Guerre patriotique », et Auguste Delaune, secrétaire général de la Fédération assassiné par la Gestapo en septembre 1943.  

Le texte qui accompagne le cadeau déborde largement le cadre de la mémoire de la lutte contre le nazisme, dont l’URSS était encore, aux yeux de beaucoup, l’héroïne principale. Dedans, la FSGT s’engage notamment à « dénoncer sans relâche les mensonges diffusés chaque jour par une presse aux ordres des fauteurs de guerre, par une presse qui n’hésite pas, comme le journal Match de la semaine dernière, à écrire cette énorme imbécillité : “Les champions soviétiques vaincus sont déportés dans les camps de concentration.” » Au même moment, Nikolaï Starostin, joueur et entraîneur de football du Spartak Moscou, purge pourtant une peine de dix ans dans un goulag...

 

Les déchirures d’une époque

 

L'envoi de ce cadeau au « Père des peuples » ne passe pas auprès de tout le monde à la FSGT. « Il est évident que notre jeunesse, pour s’épanouir et faire du sport, a besoin de paix plus que tout autre chose », écrivait Eugène Raude, un des leaders de la tendance socialiste (et au passé trouble durant l’Occupation), dans une lettre ouverte à la Commission exécutive. « Mais il devient beaucoup plus compliqué de prouver publiquement que nos jeunes sportifs ont besoin d’envoyer un cadeau à Staline, à Truman ou au pape pour continuer de s’ébattre en toute liberté sur nos stades. »

La scission devient alors inévitable. Certains partent fonder une anecdotique Union sportive travailliste, aujourd’hui Fédération française du sport travailliste, d’autres rallient l’Ufolep, puis la Fédération Léo Lagrange, lancée par le jeune Pierre Mauroy, malgré les réticences de ses aînés. Notamment celles de Guy Mollet, qui lui aurait affirmé qu’on ne faisait pas de socialisme en tapant dans un ballon.

Au sein de la FSGT, un couple va incarner les déchirures de cette époque : Robert et Rose Mension. Ils appartiennent à une génération dont la jeunesse fut « l’histoire de ce monde », comme l’a chanté Jean Ferrat : Front populaire, Espagne républicaine, Résistance... Rose, née Fuschmann, a perdu la quasi-totalité de sa famille dans la Shoah.

En 2001, leur fils, Jean-Michel Mension, dit Alexis Violet, qui fut un compagnon du philosophe situationniste Guy Debord, puis un inclassable trotskiste, racontait à Sport et plein air la foi de ses parents dans le PCF et la Fédération, et surtout le moment où « le doute s’insinue, au début des années 1950 ». Avant la guerre, son père avait sympathisé avec « des réfugiés, des camarades de ces pays de l’Est, souvent futurs brigadistes, résistants. Et brusquement, quand il demandait à les revoir, on lui disait qu’on ne savait pas où ils étaient. En Roumanie, la femme d’un ami lui avoue qu’il a été enlevé. Il va voir le ministre des Sports, qui élude le problème. » 

Robert Mension « a aussi été offusqué quand il a appris qu’il avait été fliqué toute sa vie par Rousseau [René, futur président de la FSGT], qui rendait compte de son activité politique à la Commission des cadres [du Parti communiste français] » poursuit son fils.

« C’était le système de l’époque. Et ils étaient néanmoins très potes. »

Le mari de Rose avait déjà dû se battre pour imposer Raoul Gattégno dans la direction de la Fédération, parce que ce dernier avait reconnu avoir eu des doutes au moment du pacte germano-soviétique. 

Avant même l'organisation du XXe Congrès du Parti communiste de l’Union soviétique, en 1956, qui condamnera les crimes de Staline, le couple s’éloigne progressivement du PCF et de la Fédération. Robert, qui avait été désigné à la tête de cette dernière au Congrès de mars 1953, démissionne de son poste un an plus tard. Avec son épouse, ils resteront, malgré tout, des communistes de conviction jusqu’à la fin. 

 
Une fascination qui perdure

 

Bien au-delà de la cuisine des partis et des dissensions au sein de la Fédération, la guerre froide affuble les sportifs et sportives d’un rôle politique. En Italie par exemple, le cyclisme réinvente l’opposition entre le Parti communiste italien et la démocratie chrétienne, à travers la légendaire rivalité opposant Fausto Coppi, étiquetté à gauche, et Gino Bartali, le « pieux ».

En France, c’est le monde de la course à pied qui attribue des étiquettes. D’un côté, Michel Jazy, le « catho » soutenu par L’Équipe. De l’autre, Michel Bernard, un fils de l'usine formé à la FSGT, et qui obtiendra, grâce au soutien de la CGT, de passer à un emploi de bureau pour s’entraîner. Mais leur rivalité perdra vite de son sens. 

Sur la scène internationale, on voit apparaître un certain Emil Zátopek, athlète tchécoslovaque et modèle de la supériorité du socialisme. Mais la Fédération, qui le portait aux nues, opte pourtant pour le silence, lorsqu’après l’écrasement du Printemps de Prague, en 1968, il se retrouve réduit, en guise de punition, au métier d’éboueur. 

La fascination pour le sport de l’Est perdure ensuite sous diverses formes. Parfois même au-delà des lignes politiques. Revenus au pouvoir en 1958, les gaullistes s’inspirent en partie de ce qui se fait « en face » pour rehausser le prestige national dans l’arène olympique. Plus tard, ce sera d'ailleurs un certain Philippe Séguin qui signera le retour d'une subvention nationale pour la FSGT, aide de l’État dont elle était privée depuis 1956, puisque jugée trop proche de l’URSS. 

N'oublions pas non plus l’exaltation aveugle devant les prouesses de la RDA, dont on connait aujourd’hui la terrible tambouille du dopage, directement géré par la Stasi, et le romantisme tropical d’un Roger Fidani, dirigeant originaire d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), qui écrira un livre en hommage au sport cubain. Il le connaissait fort bien, lui qui s’était retrouvé coincé sur place lors de la crise des missiles de 1962. 

Malgré les beaux discours, les sportifs et sportives travaillistes français·es finiront souvent par se heurter à la réalité. En 1980, lors des Jeux olympiques de Moscou, les lutteurs formés à la FSGT, fiers d’avoir permis aux femmes de pouvoir concourir, se voient rétorquer par leurs homologues soviétiques qu’il est scientifiquement prouvé que le second sexe ne peut pratiquer cet art antique...


bottom of page