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90 ans FSGT I Mai 68 & le sport populaire

Créée en 1934, la FSGT fête cette année ses 90 ans ! À cette occasion, Sport et plein air a préparé une série d’articles traitant de l’histoire de la fédération. Dans ce numéro, il est question de Mai 68 et de l’impact que cet événement a eu sur le sport populaire…

 

La une de notre magazine juste après Mai 68... © FSGT

Mai 68 conserve encore, dans notre mémoire collective, ce parfum romantique de barricades à Paris, de slogans révolutionnaires enflammés à la Sorbonne, ou la douce récitation des doctes marxistes-léninistes par l’étudiante maoïste du film La chinoise, de Jean-Luc Godard, sorti en 1967. On en oublie un peu trop la grande grève générale ou les morts aux Antilles lors de la sanglante répression de l’année précédente.

Mai 68, une révolte libertaire, l’utopie au pouvoir, le grand espoir d’une jeunesse qui découvre sa force dans un pays encore largement conservateur. Qu’est-ce que le sport peut bien avoir à faire avec ces jeunes gens qui se laissent pousser les cheveux et écoutent la chanteuse sud-africaine Myriam Makeba sur un petit tourne-disque ? Tout, justement. Tout ce que l’on ne dit pas ou que l’on dit trop peu…

Dans l’Hexagone, le régime gaulliste ne pense alors qu’à engranger des médailles olympiques afin de maintenir le rang du drapeau tricolore sur la scène mondiale, n’hésitant pas à rechercher à l’Est le modèle d’un « sport olympique d’État ». Toutefois, alors que tout semble figé, René Moustard, futur président de la FSGT (1976-1999), défendait, dans l’ouvrage Terrains de luttes, terrains de jeux (éditions de l’Atelier), que « Mai 68 est un moment charnière » dans « le domaine des APS (activités physiques et sportives) ».

Signe des temps ; si la finale de la Coupe de France se déroule normalement le 12 mai à Colombes (Hauts-de-Seine), après une première nuit d’affrontements sur le pavé du Quartier latin et au moment où la CGT appelle à la grève générale, la victoire revient à l’AS Saint-Étienne, « Sainté » l’ouvrière, qui l’emporte devant Bordeaux la bourgeoise. Rachid Mekhloufi, le héros de l’équipe du FLN, et le jeune Aimé Jacquet, ancien métallo des aciéries de Saint-Chamond, soulèvent le trophée tandis que l’odeur des gaz lacrymogènes peine à se dissiper dans la capitale.

 

De nouvelles situations...

 

De son côté, la direction de la fédération est évidemment solidaire de cette France qui se mobilise. « Le comité national de la FSGT considère les luttes des étudiants, enseignants et travailleurs comme très importantes ; de leur succès dépendent les conditions favorables à la réalisation du "droit au sport pour tous" », était-il écrit dans le numéro de mai-juin 1968 de Sport et plein air. Car la contestation n’est pas qu’étudiante, et gagne bientôt l’ensemble du pays, y compris les instances sportives.

Le siège de la Fédération française de football est par exemple occupé cinq jours durant, du 22 au 27 mai. Bien loin des portraits du Grand Timonier, une bande de footeux monte à l’assaut de la citadelle fédérale, cette institution grisonnante. Au premier rang, des journalistes du Miroir du Football et son emblématique rédacteur en chef, François Thébaud, un proche du PCF. À ses côtés figurent aussi deux joueurs du Red star de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), André Merelle et Michel Oriot, ainsi que des quidams et quelques militants de la FSGT.

Mai 68 fut aussi d’ailleurs une tempête sous le crâne des intellectuel·les. Quelques-uns vont même décider de s’attaquer à cet angle mort du marxisme qu’est le sport. Un homme incarne ce blasphème : Jean-Marie Brohm.

Dans le numéro manifeste de la revue Partisans, paru dès juillet 1968, il façonne « une étude critique, révolutionnaire, du sport, des loisirs physiques et de la culture du corps en régime capitaliste », sans oublier de tacler les illusions du « sport de gauche » du camp soviétique ou incarné en France, selon eux, par la FSGT. Suivra ensuite le mouvement « Quel corps ? », du nom de leur revue. Ce courant se mobilisera ensuite régulièrement, principalement avec des appels au boycott : celui des mondiaux de football de 1978 dans une Argentine en proie à la dictature ou des Jeux olympiques de Moscou en 1980.

Plus profondément, au sein de la société, ce temps suspendu du beau mois de mai conduit à de nouvelles « situations » (pour reprendre la théorie du philosophe Guy Debord) et ouvre les possibles. « Moi j’avais 13 ans », expliquait l’entraîneur Christian Gourcuff en 2018 dans So Foot. « Ça a été la meilleure période de ma vie car on n’avait pas cours, on jouait au foot du matin au soir, avec les copains et des types qui affluaient de partout. »

 

… et un autre foot !

 

Cette ambiance hante aussi les cours des usines occupées. C’est ici que la FSGT va véritablement rencontrer ce « moment » où l’histoire bascule. C’est ici, dans le noyau dur de la classe ouvrière qui conduit sa dernière grande grève victorieuse, qu’éclot bientôt l’une des plus belles fleurs de mai : un autre foot. Un peu à l’instar de 1936, l’élan et l’euphorie du mouvement revendicatif, et son succès, fabriquèrent un contexte qui bouleverse la donne, les habitudes, les mentalités.

Dès le numéro de mai-juin 1968 de Sport et plein air, la fédération revendique sa place dans ce qui vient de se produire :

« La FSGT a joué, dans cette prise de conscience, un rôle qui est loin d’être négligeable. Les déclarations, les initiatives prises par la direction nationale, et celles prises par nos comités et clubs, pour la solidarité et la discussion des problèmes du sport, c’est quelque chose d’important. »

En effet, quelque part du côté d’Aubervilliers, en banlieue nord de Paris, Jo Dauchy, un des responsables du club municipal, affilié à la fédération, et engagé au sein du service des sports de la ville, lance l’étincelle qui met le feu à la plaine et à la pelouse… Il initie, avec le soutien de la CGT et des employés municipaux grévistes, qui ouvrent les grilles des stades, des matchs entre des équipes constituées d’ouvriers des entreprises de ce coin.

La suite, après la reprise du travail, se prolongera dans des tournois, puis dans l’invention progressive d’une nouvelle forme de football, joué à 7, auto-arbitré et en semaine pour s’adapter aux besoins des travailleurs. Il regroupe désormais plus de 20 000 adeptes dans toute la France… Des ouvriers ont effectué ce que le chroniqueur musical Nick Tosches appelait, pour évoquer la musique populaire, un « vol sain », autrement dit piquer une bonne idée pour en faire quelque chose de neuf.

L’EPS subit aussi les répercussions de ce tremblement de terre. Le sport à l’école doit se repenser. Un travail déjà en cours au sein des stages Maurice Baquet FSGT, dont le succès doit beaucoup à ce tremblement terre aussi bien politique que culturel. En 2019, l’historien Yvon Morizur expliquait de la sorte dans la revue Staps :

« Les événements de Mai 68 sont appréhendés dans le champ de l’éducation physique comme une rupture axiologique se caractérisant par un renversement de valeurs, mais également de pratiques à travers l’émergence de nouvelles activités, ou encore des propositions originales et novatrices. »

Dernier domaine : l’éducation populaire, dans lequel la fédération est, depuis sa naissance, un des acteurs sportifs. Après la fondation du Groupe d’études et de rencontres des organisations de jeunesse et d’éducation populaire, constitué en juillet 1958, survient la naissance du Comité pour les relations nationales et internationales des associations de jeunesse et d’éducation populaire le 22 mai 1968. Plus de 70 associations signent une déclaration qui défend « la nécessité d’une éducation globale et permanente, qui entraîne la reconnaissance d’un domaine de l’éducation populaire et du développement culturel ». Ce n’était qu’un début, il fallait désormais jouer les prolongations…


 

© FSGT

Quatre ans après Mai 68, le 8 juin 1972, la FSGT manifeste avec d’autres organisations à Paris. Elle exige des crédits et une véritable politique de l'éducation physique et des sports, ainsi qu’une subvention à la hauteur de son nombre d’adhérent·es.

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