Gaza : pourquoi encore pratiquer du sport ?
- Nicolas Kssis
- il y a 5 jours
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La situation dans l'enclave nous amène à se poser cette question évidente.

La scène semble désormais presque irréelle. Elle ne date pourtant même pas d’un an. Dans un bateau flottant sur la Seine, une petite délégation palestinienne défile à l’occasion des Jeux olympiques de Paris, en agitant leur drapeau sous la pluie. Une apparence de normalité surréaliste au regard du contexte... L’opération militaire israélienne sur Gaza battait en effet déjà son plein, transformant l’enclave en un enfer à ciel ouvert pour ses habitant·es. Que pouvait donc bien signifier alors la présence de ces quelques athlètes ?
« Le sport palestinien a été durement touché par la guerre », expliquait déjà à l’époque Nicolas Kassianides, consul général de France à Jérusalem. Pour sa part, Jibril Rajoub, président du Comité olympique palestinien, comptabilisait, avant que la flamme ne soit allumée dans le jardin des Tuileries, 400 athlètes, bénévoles et employé·es du monde sportif blessé·es ou tué·es sous les bombes israéliennes. Le Monde du 26 mai 2024 énumérait ainsi la triste litanie des disparu·es : « Deux figures de l’équipe nationale de volley, Ibrahim Qusaya et Hassan Zuaiter, sont morts dans un bombardement sur le camp de Jabalia, dans la bande de Gaza. Le 18 décembre 2023, Bilal Abu Samaan, entraîneur de l’équipe nationale d’athlétisme, perd la vie sous les bombes lors d’un raid aérien. En janvier 2024, Hani al-Masdar, entraîneur de l’équipe olympique palestinienne de football, est tué par un missile tiré par un avion israélien. »
Exister par le sport
Néanmoins, pour comprendre la place qu’occupe le sport aux yeux des Palestinien·nes, un retour historique s’impose. Souvent, les peuples en lutte pour leur indépendance ont employé le sport comme un biais de reconnaissance sur le plan international, un moyen de renverser un rapport de force défavorable avec l’occupant ou la puissance coloniale. Ce fut par exemple le cas de la célèbre équipe du FLN durant la guerre d’Algérie (1954-1962), qui servait d’ambassadrice en crampons à travers le monde. Concernant la Palestine, il s’est avéré infiniment plus facile de rentrer, de plein droit, au CIO (en 1995), puis à la Fifa (1998), et de concourir ensuite dans leurs diverses compétitions, que d’obtenir un siège à l’Onu, où elle ne dispose, depuis le 29 novembre 2012, que du statut d’État observateur non-membre.
De ce fait, l’existence, malgré tout, d’une délégation d’athlètes palestinien·nes à Paris 2024 revêtait une signification particulière. « Représenter la Palestine aux Jeux de Paris, c’est déjà une victoire », avait ainsi résumé la ministre aux affaires étrangères de l'Autorité palestinienne, Varsen Aghabekian Shahin, lors d'une conférence de presse organisée le dimanche 14 juillet 2024 à l’Institut français de Ramallah. « Le départ de nos athlètes pour les JO 2024 intervient dans un moment très sombre de notre histoire. »
Stade en ruines
Depuis, la situation n’a fait qu’empirer à Gaza, au point où le spectre d’une famine généralisée se profile. Sans parler des opérations militaires qui n’ont jamais cessé. Ainsi, la sélection palestinienne de football, en course pour la qualification à la Coupe du monde de football masculin 2026, a diffusé une vidéo pour présenter son équipe, loin des opérations de communication habituellement déployées à cette occasion. « Pas de mots, juste des images d’enfants en train de ramasser des portraits des joueurs de la Palestine dans des rues en ruine, sur un fond musical », relatait Le Parisien, dans son édition du 17 mars 2025. Une manière de rappeler à planète du foot qu’il ne s’agit pas simplement de décrocher leur ticket pour le mondial.
De facto, quelle que soit la discipline, une grande partie de la représentation palestinienne provient désormais de la diaspora, à l’image de l’équipe féminine U20 de football, composée de joueuses issues de divers pays, qui a remporté le Championnat WAFF (West asian football federation) en 2025, une première. La pratique à Gaza, on s’en doute, est devenue quasi impossible. Des structures essaient malgré tout de maintenir un embryon de vie sportive, parfois de solidarité, à l’instar des Gaza sunbirds, équipe de paracyclisme qui combine sport et aide humanitaire, distribuant des fournitures essentielles à vélo, ou de PK Gaza, groupe de parkour qui offre aux jeunes un exutoire face aux restrictions de mouvement et aux traumatismes.
Le stade de football de Yarmouk, situé à Gaza City, le plus grand de la région, est aujourd’hui en ruine et est surtout utilisé comme un immense camp de déplacé·es. Un exemple parmi les 265 installations sportives transformées en tas de gravats dans la bande de Gaza. Il faudra plus de dix ans pour reconstruire, selon le Comité olympique palestinien, et les débuts des travaux ne sont pas pour demain.
Dans So Foot (20 mars 2025), Adham Abu Samra, 25 ans et attaquant du Shabab Rafah SC, club gazaoui, témoignait du vide que signifie la disparition du foot pour lui : « C’est difficile. Le football me manque, les terrains me manquent. Certes, ce n’est pas la priorité, mais on espère un jour pouvoir rejouer. » Des tournois et des matchs sont malgré tout organisés entre les décombres d’immeubles, certains par la fédération palestinienne elle-même. « On veut montrer à l’occupant que nous sommes toujours là et qu’on ne baissera pas la tête, jamais », précisait Dima Saïd, porte-parole de la fédération et capitaine de la sélection féminine de Palestine, dans le même article. « Ces tournois permettent aux jeunes joueurs de montrer leur talent, de rêver et d’avoir une raison d’espérer. En Palestine, le football est plus qu’un simple sport ; c’est un outil de résistance. » « C’est un remède, une source de soulagement et de joie », concluait le journaliste Abubaker Abed. « Malgré les bombardements et les massacres, les Gazaouis continuent à jouer au football, à regarder les matchs et à en parler. Cela prouve que Gaza est une terre de football. »
Et le reste du monde sportif ?
Cela reste peu. Et que fait le reste de la grande famille du sport à travers le monde qui parle sans cesse de l’importance de la paix ? Des sportifs et sportives célèbres se sont exprimé·es. Lewis Hamilton, champion de Formule 1, a par exemple appelé à la fin des violences à Gaza, soulignant l’impact sur les enfants et les familles. Kyrie Irving, joueur de NBA, a porté un keffieh palestinien lors d'une conférence de presse pour exprimer sa solidarité. Eric Cantona et Karim Benzema, deux grands footballeurs français de générations différentes, ont dénoncé les attaques à Gaza et témoigné de leur soutien aux Palestinien·nes.
Dans les tribunes, des groupes de supporters ont parfois proposé des tifos de solidarité et ce malgré des sanctions de l’UEFA ou de leurs fédérations respectives. Les appels au boycott se sont multipliés, demandant d’appliquer à Israël les mêmes sanctions qu’à la Russie, exclue de toute compétition depuis l’invasion de l’Ukraine. Mais cela semble faible. Le sport ne peut changer la face du monde si le monde se masque la face.
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