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Julie Gaucher | « La poésie fait résonner autrement l’expérience sportive »

Dernière mise à jour : 1 févr. 2023

Spécialiste éminente de la littérature sportive et de l’histoire du sport, Julie Gaucher a franchi le Rubicon de l’expertise scientifique pour s’abandonner à son amour de la poésie. Cette autrice vient en effet de publier Et elles se mirent à courir aux Éditions du Volcan et répond à plusieurs de nos questions sur cet ouvrage et sur l’évolution du sport féminin.

© photofun

En 2019, vous sortiez l’anthologie De la « femme de sport » à la sportive, déjà aux Éditions du Volcan. Pourquoi avoir cette fois choisi le chemin de la poésie pour évoquer les femmes dans le sport et leur combat pour accéder à l'égalité ?

Julie Gaucher : Effectivement, on est plus habitué à me voir signer des articles scientifiques ou des essais. Je prends aussi la plume pour partager ma passion pour la littérature sportive sur le site de l’association Écrire le sport et je mets en lumière les trajectoires (souvent oubliées !) des sportives qui ont marqué l’histoire pour la revue Panard. Mais dans Et elles se mirent à courir, j’ai fait le choix d’explorer la thématique sportive par le biais de la poésie. La poésie permet de faire résonner autrement l’expérience sportive en s’attardant sur les sensations et les émotions. Avec les vers, les mots traduisent le souffle de l’effort, le rythme de la course : quelque chose à la fois de très musical et de profondément corporel, pour ne pas dire charnel ! J’ai rapidement senti le besoin de croiser les expériences et les histoires, de mettre en perspective des sensations intimes avec une plus grande histoire, celle des sportives… En tant qu’historienne du sport, j’ai été marquée par ces grandes figures qui ont poussé la porte des stades, bravé les interdits à une époque où la pratique sportive pour les femmes n’était pas franchement tolérée. Je pense que cette diversité dans mon approche fait la richesse de mon recueil.


Pouvez-vous nous présenter les trois parties qui constituent votre recueil ?

Julie Gaucher : La première partie du recueil est consacrée à la course. Le 800 mètres féminin aux Jeux d’Amsterdam en 1928 (qui sera finalement supprimé du programme olympique pour ne revenir qu’en 1960 !), mais aussi le marathon couru par Kathrine Switzer à Boston en 1967 sont l’occasion de deux poèmes. Dans des textes plus intimistes et personnels, je m’attarde sur les sentiments de liberté et de force qui naissent de la course. Le corps est présent dans ce qu’il a de plus organique : je pense notamment au poème Monstre mens[tr]uel au titre suffisamment évocateur… La deuxième partie s’attarde sur l’expérience de la nage. Le sport dont je parle est celui de l’enfance, de la pratique ludique ou solitaire, des compétitions régionales et des entraînements, mais aussi la nage en mer, plus contemplative. Les lieux de sport tiennent une place de premier ordre. Je consacre par exemple un poème aux piscines tournesols, ces piscines en forme de soucoupe volante, qui pouvaient s’ouvrir et qui ont essaimé le territoire national (essentiellement dans les quartiers populaires) à la fin des années 1970 et au début des années 1980. D’ailleurs, la course et la nage sont des pratiques que nous avons toutes et tous expérimentées, ne serait-ce que de façon ludique. En ce sens, nous sommes nombreux à connaître les émotions qu’elles suscitent… La troisième partie du recueil, intitulée Dans les gradins, s’attarde sur les « à-côtés » du sport, ce qui se joue à la marge… et parfois dans les tribunes ! Le poème Ballons rouges, dédié à Louise Weiss, revient ainsi sur cette finale de la Coupe de France de football 1936 où des militantes féministes ont pénétré sur le terrain pour revendiquer le droit de vote. Car le sport, quoi qu’on en dise, n’a rien d’apolitique…


Quel regard portez-vous aujourd’hui sur les progrès du sport féminin et de sa représentation dans l’espace public ?

Julie Gaucher : Un long chemin a déjà été parcouru. Pour autant, tout n’est pas gagné ! Il n’y a qu'à voir les récents combats pour une égalité salariale menés par l’équipe de football américaine, avec Megan Rapinoe en figure de proue. Pour rester en Europe, faut-il évoquer la tardive évolution du règlement concernant les tenues des joueuses de beach handball sous la pression des joueuses norvégiennes ? Tant que les compétitions féminines ne seront pas autant médiatisées que les compétitions masculines et que primera l’esthétique sur la performance dans les commentaires des journalistes, tant que les sportives de haut niveau devront cumuler entraînement et emploi quand leurs homologues masculins sont rétribués pour leur pratique, nous ne pourrons pas atteindre l’égalité. Je pense aussi que l’école a un rôle essentiel à jouer, notamment en remettant en cause les stéréotypes de genre dans la pratique physique et sportive. Un sujet dont de nombreux professeurs d’EPS se sont emparés…

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