« Le RCL permet aux supporters lensois de revendiquer une identité minière »
- Nicolas Kssis
- 30 avr.
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Dernière mise à jour : 30 avr.
Auteur de Passion sang et or (Les Éditions de l'Escaut), Mathieu Monoky évoque avec nous l’histoire des supporters du Racing club de Lens.

Avant toute chose, pouvez-vous nous revenir sur la création du RCL (Racing club de Lens) et l’apparition de ses premiers supporters ?
Mathieu Monoky : Le club a été fondé en 1906, à l’époque du développement du football en France. S’il perdure une espèce de mythification autour de son origine ouvrière, il a en réalité été créé par de petits notables du centre-ville, des fils de commerçants ou celui du juge de paix. Les premiers matchs se déroulent sur l’actuelle place de la République. Très vite, le RCL est intégré aux championnats locaux émergents. Son maillot originel est vert et noir. Noir pour le charbon, les mines locales embauchant pas moins de 13 0000 employés en 1910. La ville est occupée pendant la Première Guerre mondiale, mais, dès la fin du conflit, le club reprend son activité. Dans les années 1920, il se manifeste un début d’engouement autour de l’équipe. Cela participe à l’animation de la vie sociale et culturelle de Lens. Si ses statuts officiels sont déposés en 1931, la création du Supporter club lensois remonte à la saison 1925-26. Il est lancé par un horticulteur du nom de Maurice Carton, qui demeurera en poste jusque dans les années 1960.
Quand est-ce que le RCL commence à créer des liens avec les mineurs ?
Mathieu Monoky : En 1934, le club devient professionnel grâce aux investissements des mines. Mais ces dernières s’intéressent d’abord au Racing par souci de marketing, avec l’ambition d’introduire le football et son spectacle dans les loisirs ouvriers. Elles s’en servent également pour faire taire les dissensions. En vente les soirs de match à Bollaert - un stade mis à disposition par les mines - le bulletin officiel du RCL, Sang et Or, est une feuille d’information qui promeut un discours interclassiste pour rassembler la grande famille minière.
Comment va évoluer le public lensois au fil du temps ?
Mathieu Monoky : Après la Libération, les mines sont nationalisées et regroupées dans ce qu'on appelle les Houillères. Cela amplifie l’essor des sections de supporters dans les cités minières. On en recense plus de 40 en 1956. Il demeure une volonté de paix sociale et des visées paternalistes vis-à-vis des mineurs, comme le montre l’historienne Marion Fontaine dans ses travaux (Le Racing club de Lens et les « Gueules noires », Les Indes savantes). Les sections de supporters sont clairement pensées comme une alternative au bistro communiste. La massification du supportérisme dans les années 1950/1960 est également liée aux mines, avec tout un décorum, comme les porte-drapeaux. En 1969, les mines se retirent du RCL, ce qui annonce d’une certaine manière leur disparition. Si le club perd son statut professionnel, la mairie prend le relais. Dans les années 1970, se produit une évolution du public. Des supporters avec des looks plus décontractés remplacent progressivement les mineurs qui s’endimanchaient pour soutenir leur équipe. Les tribunes lensoises vivent ensuite un autre changement. À partir des années 1980, une forme de supportérisme plus radicale émerge, sous l’influence de ce qui se passe alors en Belgique voisine. Un premier groupe, l’East side, voit le jour, puis, en 1991, naissent les North warriors, clairement hooligans. En 1993 et 1994, le Kop sang et or et les Red tigers sont successivement fondés. Mais eux vont davantage se construire comme des groupes ultras.
Aujourd’hui encore, les RCL et ses supporters semblent entretenir une sorte de mythologie autour des mines…
Mathieu Monoky : Il est intéressant de constater que le supportérisme, depuis les années 1970 et la fermeture des Houillères, propose une forme de continuum. Au moment où la société se remodèle et où la communauté minière se délite, le club permet aux habitants de continuer de s’approprier cette identité et ce passé, de les revendiquer. Naturellement, une part de mythification existe dans cette démarche, par exemple avec la présence de casques de mineurs, en fait souvent des casques de chantier, dans les tribunes. Depuis les années 90, le RCL manifeste aussi une volonté de revendiquer cette histoire et cette particularité. Si leur rhétorique semble se nourrir partiellement d’une reconstruction de l’identité, le Racing et ses supporters, dont les ultras, permettent donc le maintien de cette mémoire.
Le RCL a la réputation d’avoir le meilleur public de France. Toutefois, il se construit aussi dans la rivalité, avec Lille notamment ?
Mathieu Monoky : Il faut réintroduire cette opposition dans la continuité historique. La finale de la Coupe de France perdue en 1948 pose par exemple les premières pierres de la rivalité. Mais au-delà de l'aspect sportif, un discours s’élaborait dans la presse autour des deux clubs et de leurs identités antagonistes. En 1953, une des couvertures de Sang et Or affichait par exemple le dessin d'un homme à l'apparence bourgeoise menaçant un mineur lensois avec un chien en laisse. La rivalité, pour la suprématie locale, va dériver vers un choc entre deux typologies distinctives de villes : Lens, populaire et minière, contre Lille, métropole régionale et capitale des Flandres.
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