Née en 1934, la FSGT fête ses 90 ans cette année ! À cette occasion, Sport et plein air a préparé une série d’articles traitant de son histoire. Dans ce numéro, nous reproduisons une partie d’un texte revenant sur le développement de la lutte féminine et paru dans l’ouvrage Du sport rouge au sport populaire (coédité par la fédération et La ville brûle)…
« Première moitié du 20e siècle ; la lutte, sauf exceptions, est réservée aux hommes. Évoquer une simple initiation des jeunes filles à cette discipline fut longtemps considéré comme une hérésie, y compris au sein de la FSGT.
Dans l’Hexagone, la présence de filles sur les tapis de lutte est attestée de 1963 à 1966, mais uniquement dans le cadre des écoles de sport, notamment au lycée de Talence (Gironde), afin de contourner l’interdiction de la Fédération française de lutte (FFL). Effet papillon, à partir de l’expérience de Talence, des clubs bordelais feront, ces mêmes années, tout naturellement voler un tabou en éclats en "acceptant les filles au tapis".
C’est à partir de 1969 que la pratique féminine est véritablement portée au vu et au su de tous. Cette année-là, nommé conseiller technique régional pour l’académie de Nice, j’impulsais (malgré le scepticisme certain des copains de la FSGT et la virulente hostilité des principaux responsables nationaux de la FFL), le premier camp international des lutteurs. Incitant la présence féminine aux entraînements de lutte, le camp accueillit filles et garçons, volontaires venant du centre aéré de Toulon (Var) pendant deux mois, au sein du camping municipal de la Seyne-sur-Mer, puis de Saint-Mandrier.
Une aventure qui dura trente ans ! L’équivalent de cinq années d’expérimentations pédagogiques, tout à la fois centre de formation estival des lutteurs et centre d’animation sportive. Dès le deuxième été, un pont est établi entre les stages Maurice Baquet, qui se tiennent à Sète, et le camp de lutte, qui devient le centre national de formation des cadres FSGT.
Un premier fédéral féminin...
Produits sociaux, les idées et les opinions ne naissent pas du hasard. Même si certains dirigeants de la FSGT avaient alors eux-mêmes bien du mal à admettre que leurs propres filles puissent accéder à toutes les activités, dont la lutte, les idées progressistes indissociables de notre fédération ont permis l’expérimentation.
Rien n’était gagné. Certains clubs restaient fermés. D’autres revinrent sur leurs positions d’ouverture ; il s’en trouva même pour chasser les demoiselles sous des prétextes fort vils. D’autres encore, qui avaient accepté, se résignèrent à abandonner sous la pression dominante.
Cependant, quelques-uns ont persévéré, et tout particulièrement le club FSGT de Calonne-Ricouart, dans le Pas-de-Calais. D’autres comprirent, à travers les stages d’été, l’intérêt de proposer la lutte en mixité et de coopérer avec le milieu scolaire, comme à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), et réalisèrent de splendides opérations.
Or, les pratiques locales ne se généralisent qu’en se fédérant. La fédération française de la spécialité restait inconditionnellement hostile. Face à un tel aveuglement, la diffusion systématique d’une circulaire annuelle d’information du camp international lors des championnats de France de lutte universitaire, FFL et FSGT, mais surtout la très large ouverture du camp, fréquenté par de nombreux étudiants en éducation physique, ainsi que de futurs conseillers techniques régionaux de la discipline, vont permettre de voir fleurir un peu partout en France des expériences de lutte en mixité de même nature.
À la fédération, la commission lutte, en s’appuyant sur le camp et l’ouverture de certains de ses clubs, avait, quant à elle, réalisé un travail préparatoire concret dans la formation de ses cadres et ouvert les entraînements aux filles dès les années 1970. C’est après des batailles beaucoup moins âpres qu’elle fut la première à accueillir les jeunes filles dans ses championnats nationaux, à partir de 1975, aux mêmes conditions de sélection que les garçons.
Toutefois, pour qu’il puisse être admis qu’elles reçoivent les mêmes récompenses, il fallut que les premières concernées poussent la protestation (l’insubordination, diront certains) lors des championnats fédéraux à Vonnas (Ain), en 1985. À l’occasion de la cérémonie de remises des récompenses, elles jetèrent collectivement dans le rond central le tee-shirt "Bleu de Bresse" qu’elles avaient reçu, à défaut de celui de championne fédérale ! Le championnat de France féminin FSGT était né. Ces années-là, la fédération prenait tous les risques et assumait seule son initiative.
La FFL finit par réaliser le risque de débordement provoqué par sa propre cécité. De nombreux clubs étant en double affiliation, elle se fondit dans le mouvement émergeant qu’elle avait réussi à étouffer des décennies durant.
Nous ne retiendrons que les aspects positifs d’une telle volte-face. En un premier temps, ce fut l’effet du souffle d’un vent sur la braise. En un second temps, une nouvelle page de la lutte féminine commençait à s’écrire.
... et des premiers mondiaux !
Et sur le plan international ? La bataille était encore loin d’être gagnée. Dans les années 1970, nos dirigeants lutteurs en délégation dans l’ex-URSS pouvaient s’entendre dire par Alexander Novikov, directeur de l’organisation des Jeux olympiques de Moscou et champion du monde de lutte, qu’il n’y aurait jamais de lutte féminine aux Jeux. La raison invoquée : des "travaux scientifiques" révélaient la nocivité de la lutte pour la santé des femmes.
La délégation a signifié son étonnement de ne pas percevoir aussi clairement un tel souci de la santé des femmes dans les autres disciplines ! Après discussion, nous avons communiqué à Novikov notre sentiment collectif : le jour où la lutte délivrerait l’or olympique aux femmes, elle deviendrait certainement, et tout aussi "scientifiquement", bonne pour leur santé. Nous avons même pronostiqué que ce jour viendrait.
Et il est venu… La Fédération internationale de lutte amateur, en tenant compte de la situation française, officialisera la pratique en 1984, et les premiers championnats du monde de lutte féminine seront organisés en 1987. La discipline sera admise pour la première fois aux JO en 2004, à Athènes. Il est certain que la plupart des dirigeants du camp international seraient prêts à revendiquer leur rôle quant à la défense et à la promotion de la lutte féminine, et c’est incontestablement en son sein que les militants du sport travailliste ont réussi à détruire la chape de plomb qui interdisait aux femmes de pratiquer la noble discipline de la lutte, où elles ont appris à exceller. »
Christian Joly
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