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Paris 2024 l Quelle place pour les Russes ?

Parmi les nombreuses polémiques qui agitent la préparation des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, la présence, ou non, d’athlètes russes et biélorusses est l’une des plus importantes. Entre un CIO qui refuse de choisir et des autorités françaises qui ne savent plus comment se positionner, l’évènement, approchant à grand pas, risque de devenir un véritable casse-tête diplomatique et politique...

En 2019, les basketteurs occitans FSGT prenant part aux JSM de Tortosa avaient rencontré une équipe russe. Chose qui pourra également se produire lors de l’édition 2023, la CSIT n’ayant pas voulu exclure la Russie de l’événement…

Le 10 mai dernier, lors des mondiaux de judo disputés au Qatar, trois spectateur·rices ont été expulsés des tribunes de l'Ali Bin Hamad Al Attiyah Arena de Doha. Ils/elles portaient un insigne à rayures noires et oranges, symbole de la victoire soviétique sur l'Allemagne nazie en 1945 et désormais marqueur du patriotisme par le pouvoir en Russie.


Pour rappel, les sportif·ves russes et biélorusses avaient été exclu·es des compétitions sportives internationales à la suite de l’invasion de Ukraine décidée par le Kremlin en février 2022. Or le 28 mars, le CIO (Comité international olympique) a finalement décidé d’autoriser leur réintégration (sous certaines conditions) ! Et ces mondiaux de judo furent donc la première compétition d'envergure accueillant de nouveau des Russes et Biélorusses.


Redonnant une visibilité à Vladimir Poutine sur le théâtre sportif international, ce retour est devenu un sujet très sensible et de nombreux pays occidentaux ont tenu à dénoncer la récente décision du CIO. Nancy Faeser, ministre allemande des Sports, considère ainsi qu’il s’agit d’une « gifle aux sportifs ukrainiens. Le sport international doit condamner en toute clarté la guerre d'agression brutale menée par la Russie. Cela ne peut se faire qu'en excluant complètement les athlètes russes et biélorusses. »


En réaction a ce qu’elle vit comme un soutien implicite à son envahisseur et à une légitimation de la guerre que se déroule sur son sol, l’Ukraine a décrété qu’aucun·e de ses représentant·es ne s'alignera dans des épreuves mondiales où des sportif·ves russes et biélorusses sont en lice. Ce fut d’ailleurs le cas à l’occasion des Championnats de judo au Qatar.


Cette posture rend un peu plus concrète et probable la menace d’un boycott ukrainien des JOP (Jeux olympiques et paralympiques) de Paris 2024. Un boycott qui serait un camouflet terrible pour l’instance olympique et une ombre sur l’événement alors que la France soutient officiellement Kiev dans le conflit.


Gestion opposée

Pour le moment, le CIO laisse une grande latitude aux fédérations internationales pour se positionner, ou non, sur une exclusion de la Russie et de la Biélorussie de leurs épreuves, élargissant encore davantage encore l’imbroglio. C’est également moyen de ne pas gérer directement une situation devenue inextricable, d’autant plus que le Conseil olympique d’Asie avait déjà invité les athlètes de Moscou et de Minsk à prendre part aux prochains Jeux asiatiques (organisés dans la ville chinoise de Hangzhou du 23 septembre au 8 octobre 2023), et la gestion de ce cas de conscience se révèle diamétralement opposée selon les disciplines !


Outre celle de judo, les fédérations d’escrime, de cyclisme, de tir à l'arc, de canoë-kayak, de pentathlon moderne, de tennis de table, de tir sportif, de skateboard, de taekwondo, de triathlon et de lutte ont par exemple autorisé le retour des banni·es. Non sans parfois de contestation interne… Dès le 28 mars, plus de 300 escrimeur·ses actif·ves ou retraité·es adressaient une lettre ouverte au président du Comité international olympique, Thomas Bach, lui-même médaillé d'or au fleuret aux JO de Montréal en 1976, et au président par intérim de la Fédération internationale d’escrime, Emmanuel Katsiadakis, les accusant de placer les intérêts de la Russie au-dessus de ceux de l'Ukraine.


A contrario, l’athlétisme, le badminton et le basket-ball n’ont pas rouvert leurs portes aux Russes et aux Biélorusses. « Le Comité exécutif a décidé de ne pas autoriser l’inscription des équipes nationales de Russie et de Biélorussie dans les tournois de préqualification olympique », précise la Fédération internationale de basket. Le tout, « conformément aux recommandations du CIO. »


Car, comme cela était indiqué quelques lignes plus haut, la réintégration des sportif·ves russes et biélorusses comprend certaines conditions. Ces dernier·ères ne peuvent concourir qu’en tant qu'athlètes individuel·les et sous une bannière neutre. De plus, celles et ceux qui soutiennent la guerre ou qui sont sous contrat avec l’armée russe ou biélorusse ou avec des agences de sécurité nationale ne peuvent pas participer à des compétitions mondiales. Si certaines fédérations internationales effectuent elles-mêmes leurs vérifications, « beaucoup font appel à des compagnies privées », détaillait le quotidien L’Équipe dans un article paru le 7 mai. « Pour un coût compris entre 600 et 800 dollars (535 à 710 € environ) par athlète. »


Au CIO le dernier mot

Si les dirigeant·es du sport russe jugent, sans rire, mais en prenant le CIO au mot de son « apolitisme » de façade, ces critères discriminatoires, personne n’est dupe… En 2021, l’agence de presse gouvernementale Russia Beyond affirmait en effet que la moitié des médailles russes aux JOP de Tokyo avaient été obtenues… par des membres de l’armée, du ministère des affaires intérieures ou de la Garde nationale !


« Que les athlètes concourent sous bannière neutre ou pas, Vladimir Poutine les reçoit au Kremlin et se met en scène avec eux », ajoutait Patrick Clastres, professeur à l’Université de Lausanne dans un article du journal Le Monde publié le 2 février. Quant aux sportifs et sportives russes sont « mis dans une bulle de patriotisme dès leur plus jeune âge », complétait Lukas Aubin, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques.

« Il devient dès lors délicat d’imaginer qu’il n’y aura pas de manifestation politique de ces athlètes ».

À l’inverse, il ne fait pas bon être une voix dissidente quand on est sportif·ve dans la Russie autoritaire de Vladimir Poutine. Artemi Panarine, hockeyeur professionnel aux États-Unis et proche de l’opposant Alexeï Navalny, a par exemple été déclaré indésirable sur son propre sol national.


La France se trouve donc coincée entre sa volonté de garantir le bon déroulement et le succès essentiel, surtout pour Emmanuel Macron, des Jeux de Paris et le soutien officiel aux Ukrainien·nes. Maire de Paris, Anne Hidalgo multiplie d’ailleurs les gestes symboliques à ce sujet et affiche une ligne dure. « Tant qu'il y a cette guerre, cette agression russe sur l'Ukraine, ce n'est pas envisageable de défiler comme si de rien n'était, d'avoir une délégation qui vienne à Paris », assurait-elle sur France Info le 7 février. Même si elle sait pertinemment qu’il n’est pas possible de passer outre l’autorité du Comité international olympique, les pays et les villes renonçant de fait à leur souveraineté durant le déroulement des JOP.


Le gouvernement ne se montre guère plus résolu. À l'occasion, le 25 avril, d'une audition publique organisée par la Commission de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, Amélie Oudéa-Castera, ministre des sports et des Jeux olympiques et paralympiques, a rappelé que le choix du CIO était une « décision souveraine » tout en mettant en avant l’aide d'un million d'euros accordée à la délégation ukrainienne pour son camp de base. Du moins, si elle vient…


Dernière illustration des divergences d’opinion concernant la participation de la Russie et de la Biélorussie aux JOP, le ministre des Sports d’Ukraine, Andriy Chesnokov, a de nouveau réitéré, lors de cette même audition, le souhait d’un bannissement des athlètes russes et biélorusses tandis que que Gaby Ahrens, ancienne tireuse namibienne et représentante du Comité, a appelé à ne pas condamner les sportifs en raison de la politique de leur gouvernement. Comme au temps de l’Apartheid en Afrique du Sud ?


 
Ces pays déjà exclus des JOP

Exclue des Jeux olympiques et paralympiques (JOP) de Tokyo 2021 après avoir falsifié les résultats de contrôles antidopages pendant des années, la Russie pourrait être exclue de ceux de Paris 2024 pour une toute autre raison : la guerre qu’elle a déclenchée en Ukraine en février 2022. Ce ne serait pas la première fois qu’un pays se trouverait exclu des Jeux pour des raisons dites extra-sportives (c’est-à-dire politiques). En effet, les empires centraux et leurs successeurs (Allemagne, Autriche, Bulgarie, Empire ottoman et Hongrie), considérés comme responsables de la Première Guerre mondiale, ne sont pas invités à Anvers en 1920. De son côté, l’Afrique du Sud, alors en plein dans le régime de l’Apartheid, se trouve interdite de JO à partir de 1964. Toutefois, nombreux sont les conflits de ces dernières décennies (guerre du Vietnam menée par les Américains, invasion soviétique en Afghanistan, etc.) à n’avoir débouché sur aucune sanction olympique. Sûrement en raison des rapports de force géopolitiques du moment…

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