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Sport l Les femmes pratiquent-elles différemment ?

La question du sport féminin est généralement posée sous l’angle de l’accès à la pratique ou de la mise en valeur du haut-niveau. Mais on s’interroge rarement sur ce que recherchent vraiment les femmes dans le sport et, surtout, si elles le pratiquent différemment des hommes ? Autant d’interrogations que les différent·es acteurs et actrices du sport doivent oser affronter pour assurer le développement de la pratique féminine…


« Avant tout, on est là pour s'amuser, pour faire le spectacle, pour rigoler. » Voilà comment, sur France Info le 2 février dernier, une certaine « Don Camilla » définissait la motivation des membres, toutes féminines, de son équipe de roller derby ¹. Ce jeu de contact, dont toute une nouvelle génération de féministes s’est emparée comme étendard, est devenu, d’une certaine façon, emblématique d’une autre façon de penser et de concevoir le sport. Une approche en rupture dont les femmes constituent l’avant-garde, loin des critères habituels centrés sur ces fameuses valeurs masculines que les compétitrices se devraient d’assimiler, par acculturation, afin d’être enfin reconnues par leurs pairs (pères).


On retrouve ce son de cloche chez « Tjiki », rugbywoman devenue championne de musculation. Dans un article paru en février 2022 dans le média ÀBlocK!, cette dernière racontait ce qui l’a poussé d’abord vers le ballon ovale :

« Le rugby était pour moi une manière de me défouler, de sortir toutes mes frustrations. Ce sport m’a permis de m’extérioriser. »

« C’est aussi au rugby que j’ai rencontré une fille qui est allée jusqu’en équipe de France », poursuit-elle.

« On devait s’entraîner avec elle et, un jour, elle me plaque (…) Je suis restée dans les vapes trois jours. Je me suis rendu compte qu’elle m’était rentrée dedans, mais qu’elle n’avait rien senti. Pour elle, c’était comme si elle avait déplacé un caillou. J’ai pris conscience, à cette occasion, que je ne savais pas me servir ni de ma force ni de mes muscles. »

Un éveil qui la conduira donc à épouser une très belle carrière de culturiste !


Marche ou rêve...

La marche connaît un essor très fort chez les femmes. Le succès de sa déclinaison nordique, en particulier au sein de la FSGT, illustre parfaitement la dimension sport-santé que certaines recherchent. Toutefois, cette activité, si ancienne et presque philosophique, permet en outre de retisser un lien entre les générations et de rappeler que les femmes ont toujours été physiquement actives, et pas seulement au travail ou pour les tâches domestiques.


« Ma grand-mère a toujours aimé marcher », confiait, dans un papier publié par le magazine en ligne Slate en mai dernier, la journaliste Hélène Pagesy.

« Dix, vingt kilomètres, voire plus, par jour. Quand je passais les vacances d'été chez mon grand-père et elle à la campagne, je me souviens qu'elle en parlait dès le matin au réveil : " Il fait beau aujourd'hui, on va pouvoir en profiter pour aller marcher ! " »

« Elle me raconte qu'elle a débuté la marche quand mon grand-père et elle ont quitté la région parisienne pour venir s'installer à la campagne au moment de la retraite », continuait la journaliste.

« Elle m'explique que la marche lui permettait aussi d'avoir une activité différente de celle de mon grand-père qui était, lui, occupé à jardiner du matin au soir. La marche lui permettait de vivre pour elle-même. »

Le running connaît, pour des raisons assez similaires, un engouement certain dans tout le pays. « Avec une hausse de 33 % ces cinq dernières années, elles sont désormais six millions à pratiquer la course à pied, soit autant que les hommes ! » se réjouissait Le Parisien à l’occasion du Marathon de Paris de 2018.


« Après la santé, la principale raison pour laquelle les femmes courent, c'est le bien-être », expliquait d'ailleurs Virgile Caillet, délégué général de l'Union sport et cycle, dans le journal.

« Elles veulent se libérer de la pression du quotidien, c'est pour cela notamment qu'il y a un vrai boom chez la tranche 24-35 ans. »

Prenons maintenant à témoin le cas du football. Les footballeuses tapent-elles exactement le ballon comme les hommes ? À première vue, on pourrait penser que oui puisqu’elles ont le même schéma de formation qu’eux et la même pyramide compétitive. Mais si le foot masculin semble aujourd’hui obsédé en revanche par la vitesse des « pistons », sur les ailes, et les appels en profondeur d’attaquants athlétiques tel Kylian Mbappé, la revue Human movement science note que les femmes effectuent 30 % de sprints violents en moins. Ce qui tend à prouver que, plutôt que de créer des décalages en un-contre-un, elles jouent davantage avec leurs coéquipières !


Mon sport, mon corps

Le rapport au corps, à son corps, autrement que sous le regard des hommes, constitue souvent une première porte d’entrée pour appréhender la place du sport dans la vie des femmes. Sociologue et dirigeante à la Fédération française de handball, Béatrice Barbusse assure que le « sport peut être un outil au service des femmes pour prendre possession de leur corps, leur permettre de se l’approprier, qu’il soit pour soi et non plus pour les autres » (ÀBlock!, 8 mars 2022). De plus, il peut « changer la société dans son ensemble grâce à des solutions, par exemple la pratique de l’auto-défense féministe, qui n’est pas véritablement du sport, mais des pratiques qui mettent en mouvement le corps et l’esprit. »


Le tableau général s’affiche donc plus nuancé qu’un effet de balancier entre le sport-santé et les médailles olympiques. Un regard évidemment à affiner ou affûter selon les disciplines. Christine Menneson, sociologue à l’Institut d’études politiques de Toulouse, décrivait ainsi les différences entre la situation du noble art et du ballon rond dans un numéro de ContrePied ² en mai 2018 :

« Si on regarde dans le cœur de la pratique, les boxeuses sont sur un ring, donnent des coups. À l’entraînement, elles sont souvent dans des situations où elles ont l’ascendant sur certains hommes. Elles arrivent à maîtriser ce qui est le summum de la domination masculine, la violence physique, ici exercée sur des hommes. Les boxeuses transgressent donc vraiment les normes de genre pendant la pratique. Alors que les footballeuses, toujours entre elles et jamais opposées aux garçons dans la pratique, transgressent moins, tout du moins sur le terrain. Ces deux pratiques produisent donc des choses assez contrastées… »

L’Éducation physique et sportive constitue aussi un vecteur essentiel qui touche une période cruciale, les adolescentes sportives décrochant beaucoup plus que les garçons au moment de la puberté. Est-ce que cela est dû au fait que l’on cherche encore trop souvent à enseigner aux filles des codes sportifs masculins sans tenir compte de leurs besoins d’émancipation ? Sur le site Internet de l’Union sportive de l’enseignement du premier degré (usep.org), la sociologue Sigolène Couchot-Schiex confirme cette contradiction :

« Il faut mettre en place les conditions d’un égal accès des filles et des garçons à toutes les pratiques, et à tous les niveaux de pratique. Or, comme pour tout individu, la société a appris aux enseignant·es à se comporter en tant qu’hommes et femmes. Il faut lutter contre ses propres repères. »

L’encadrement et la culture dominante d’organisation représentent, enfin, un autre enjeu de taille car le « système sportif est historiquement dirigé par des hommes, pour des hommes », résumait Dominique Charrier, sociologue à la Faculté des sciences du sport de l’université Paris-Saclay dans La Gazette des communes (mars 2022). Il n’y a que trop peu d’entraîneures à la tête des équipes ou des clubs et on ne compte que seize femmes à la tête d’une fédération sportive alors qu’on en recense pas moins de 113 en France. Il faudra donc du temps pour que le sport ne soit donc pas qu’un mot masculin !


¹ Le roller derby est un sport se pratiquant avec des patins à roulettes sur une piste ovale. L’objectif est de réussir à dépasser, en un laps de temps donné, les joueur·ses de l’autre équipe sans se faire projeter au sol ou sortir de la piste.


² ContrePied est une revue éditée par le Centre EPS & Société, une association créée par le Syndicat national de l'éducation physique de la Fédération syndicale unitaire. Il s’est donné comme objectif de « penser les questions de l’EPS dans ses rapports à l’école, aux questions sociales et sportives et, plus largement, aux débats idéologiques de l’heure ».




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