Il va sans dire que, dans une société profondément genrée, questionner les normes n’est pas une mince affaire. Le modèle sociétal dans lequel on évolue se manifeste par des attributions de rôles liées au genre et une constante dichotomie entre hommes et femmes. Et le sport n’est évidemment pas épargné par cette logique binaire de catégorisation des genres.
Selon l’ONG Amnesty international, une personne transgenre, ou trans, est une « personne dont l’expression de genre et/ou l’identité de genre s’écarte des attentes traditionnelles reposant sur le sexe assigné à la naissance ». Depuis quelques mois, la question de la place attribuée aux transgenres dans les compétitions sportives internationales défraie justement la chronique.
Et si les théories s’opposent, ce sont surtout des formes d'exclusion, toujours familières aux communautés en minorité, qui se multiplient…En avril dernier, le journal 20 minutes révélait par exemple que la cycliste transgenre Emily Bridges s’était vu refuser sa participation à l’épreuve féminine des championnats de Grande-Bretagne d’omnium. En juin, ce fut au tour de la Fédération internationale de rugby à XIII d'exclure les femmes transgenres des matchs internationaux féminins.
Sous le joug du patriarcat, les femmes transgenres se voient de plus en plus exclues de certaines compétitions sportives sous couvert de surplus de testostérone, et les spéculations scientifiques autour de cette hormone pullulent à foison ! Aux États-Unis, l’accessibilité des personnes transgenres aux compétitions de natations universitaires peut se faire à condition que les femmes transgenres acceptent un traitement hormonal pour réduire leur taux de testostérone, et ce pendant un an.
Une injonction qui ne suffit pas pour autant à anticiper des polémiques autour d’éventuelles victoires de personnes transgenre. Notamment celle de la nageuse Lia Thomas, dont la performance sportive a été grandement remise en question après qu’elle soit devenue la première nageuse transgenre à gagner un titre universitaire en nage libre féminine.
Une consécration au goût amère car les détracteur·rices de Lia Thomas jugent qu’elle bénéficie toujours d’un avantage physiologique par rapport aux autres nageuses femmes cis (personnes de sexe féminins qui se considèrent comme telle). Or « ce n’est pas parce qu’on est une femme trans qu’on est avantagée », estime Véronica Noseda, membre de l’association Les Dégommeuses, un club de football LGBTQIA+ (Lesbienne, gay, bi, trans, queer, intersexe, asexuel…) basé à Paris.
« La performance sportive est le fruit d’un milliard de choses. »
Pas que la testostérone !
Si la question des avantages liés à la pratiques sportives de femmes transgenres doit nécessairement être soulevée, il faut alors prendre en considération l’ensemble des facteurs socio-culturels d’influences dont elles ont bénéficié avant leur transition.
En effet, l’accessibilité aux disciplines sportives est sans aucun doute plus fluide pour un homme. Comme le contexte social et économique favorise la participation et la formation des hommes à certaines disciplines sportives et désavantage les femmes, cis et transgenres, l’argument décontextualisé de l’avantage physiologique peut alors facilement être réfuté.
« On fait comme si seule la testostérone permettait d’accroître les performances alors que les composantes sociales, culturelles, économiques, environnementales, politiques et génétiques forment un ensemble complexe, indissociable pour expliquer la performance sportive, l’excellence, pour toutes les sportives et sportifs de haut niveau », témoignait Anaïs Bohuon, socio-historienne spécialiste des études sur le corps, le genre et le sport dans un article d’Usbek&Rica publié à la fin des Jeux olympiques de Tokyo 2021 et mettant en exergue cette nouvelle lubie que sont les tests de féminité et le calcul du taux de testostérone des transgenres.
On l’a vu plus haut, les portes-paroles de l'exclusion des femmes transgenres des compétitions sportives affirment que celles-ci représentent des adversaires inégales face aux femmes cisgenres. Un argument fallacieux qui ne fait que renforcer la mainmise du patriarcat sur les corps des femmes car les hommes transgenres qui participent à des compétitions sportives ne sont pas sujets aux mêmes formes d’exclusions dont sont victimes les femmes transgenres. Et leurs ambitions sportives sont loin de faire polémique…
« La frontière entre les deux genres “ hommes “ et “ femmes ” a fait l’objet de technologie assez suspecte », continue Véronica Noseda des Dégommeuses.
« On demande à des personnes qui produisent naturellement de la testostérone de se doper pour rentrer dans les règles, c’est absurde. Moi je suis pour l’autodétermination. Si une personne se considère femme ou homme, c’est à elle de décider et non aux fédérations sportives. »
Des nouvelles catégories ?
Si la Fédération allemande de football a amorcé un pas de plus vers l’inclusion de toutes et tous dans le sport en annonçant, en juin, que les personnes transgenres ou non-binaires avaient désormais la liberté de choisir la section qui leur convient le plus, un texte transphobe fait polémique aux États-Unis. La « save women’s sports act » ( la loi sur « la sauvegarde du sport féminin ») pourrait en effet autoriser le contrôle des organes génitaux des athlètes soupçonnées d’êtres transgenres…
Il va sans dire que le public trans ne bénéficie pas d’un cadre inclusif dans le milieu sportif, et les approches mises en place pour légitimer ou non une personne à participer sont intrusives et hautement discriminatoires. Très certainement, requestionner les normes n’est pas une réflexion que l’on peut formuler du jour au lendemain, surtout dans le cadre de compétitions sportives ou la distinction des genres est ancrée depuis toujours. « Je comprends que cela puisse constituer des problèmes dans les compétitions de haut niveau », indique Véronica Noseda.
« Mais pour ma part, je continue à penser qu’il faut beaucoup discuter avec les athlètes. »
Chez Les Dégommeuses justement, tout le monde participe. Les équipes sont mixtes et la question de la transidentité ne se pose pas sur le terrain de foot. Une politique d’inclusion certes bien plus facile à mettre en place lorsqu'il n’est pas question de compétitions de très haut niveau, mais l’accessibilité aux pratiques et compétitions sportives n’est pas pour autant un problème insoluble.
Effectivement, pourquoi ne pas envisager de nouvelles catégories plus inclusives qui se basent sur d’autres facteurs de distinction que le genre d’une personne ? « Le sexe a été le prisme qui a structuré les divisions sportives, mais, dans certains sports, il y a surtout des catégories », ajoute Véronica.
« Les personnes doivent pouvoir soit jouer dans leur catégorie. Soit " femme " ou " homme " en fonction du genre dans lequel ils/elles se reconnaissent, soit on change de normes. »
Il va sans dire que la question de l’inclusion des personnes transgenres dans le sport n’a pas fini de faire parler d’elle ! Les réflexions d’aujourd’hui ne sont certainement pas celles d’hier. Toutefois, il ne faut pas occulter du débat la perception des personnes concernées par leurs luttes et les moyens et outils de visibilisation et d’inclusion qu’elles pensent nécessaires.
Ils, elles et iels (à ce sujet, lire encadré ci-dessous) sont les premier·ères concerné·es par le sujet. La finalité d’une lutte n’a de sens qu’en prenant en considération les différentes revendications de la communauté en minorité qui la porte. Et les plaidoyers émis par les personnes transgenres devront faire loi sur les innombrables spéculations des fédérations et organismes sportifs…
« Iel » dans la langue française, une révolution oubliée
En novembre 2021, le dictionnaire Le Petit Robert a indexé le pronom « iel » dans son édition en ligne. Contraction de « il » et « elle », ce pronom est communément utilisé par la communauté LGBTQIA+ (Lesbienne, gay, bi, trans, queer, inter-sexe, asexuel...) car il permet de visibiliser les communautés transgenres ou non-binaires, tout en promouvant une neutralité du genre pour toutes les personnes qui se sentent concernées. Une annonce vivement controversée et rapidement critiquée sur les réseaux sociaux et dans les médias. Ses détracteur·rices estiment que, comme lorsqu’il est question de l’écriture inclusive, ces prouesses linguistiques ternissent la langue française et la dénature de son histoire. Pourtant, le pronom « iel » est loin d’être une révolution linguistique ! Issu de « illud », le pronom « el » est un pronom faisant référence au genre neutre, une catégorie grammaticale qui faisait déjà partie de l’ancien français, vestige de la langue latine, qui a disparu entre le XIIe et le XIIIe siècle. Bien que l’utilisation du pronom « iel » était déjà démocratisée au sein de la communauté LGBTQIA+, l’ajout de ce dernier dans le dictionnaire Le Petit Robert reste toutefois une victoire pour les personnes transgenres et/ou non-binaires. En effet, comment voulez-vous exister dans une langue où vous ne pouvez exprimer votre identité ?
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