top of page

Économie | Où en est la commercialisation du sport ?

Le sport est devenu un secteur économique à part entière qui prend de plus en plus d’ampleur. Aujourd’hui, même la pratique non-marchande, essentiellement représentée par le mouvement associatif, est progressivement grignotée par des logiques sous-jacentes qui tentent de monétiser son activité. Quels sont donc les nouveaux visages de cette menace dénoncée par le sport ouvrier depuis ses débuts ?

Dans ce dessin du 24 juillet 1935, la toute jeune FSGT dénonce l’invasion des sponsors sur le Tour de France...

Pour se représenter l'immixtion du libéralisme dans le sport au 21e siècle, y compris en termes idéologiques, commençons notre exploration par un article publié dans Le Monde le 15 décembre dernier au sujet des associations sportives des écoles de commerces, ces lieux où se forment les futurs moines-soldats du capitalisme moderne.


Citant notamment le journaliste Iban Raïs qui, dans l’ouvrage La Fabrique des élites déraille (Robert Laffont, 2021), évoquait les « violences sexuelles » ou les « discriminations sexistes, LGBTphobes ou racistes » qui y règnent, le quotidien délivre également une vision singulière de la place du sport dans ces écoles et des valeurs qu’il peut enseigner :

« En école de commerce, le sport est bien plus que du sport. À HEC, par exemple, les clubs de football (Club Foot) et de rugby (RCH) masculins sont aussi les deux plus puissants du campus, toutes associations confondues. »

De fait, depuis ses débuts dans les collèges britanniques au milieu du 19e siècle, le sport demeure un instrument essentiel pour forger l’esprit de corps de l’élite conquérante. Mais le sport est surtout devenu un outil d’enrichissement extraordinaire, avec une extension continuelle de la monétisation du moindre espace social et culturel…


Offre, demande…

Dans un rapport publié en 2019 par le CESE (Conseil économique, social et environnemental), on apprenait que « l'économie du sport représente un enjeu grandissant, tant sur le plan de la création de richesses (la dépense sportive avoisine les 40 milliards d'euros en France et connaît une croissance dynamique) que sur celui des externalités positives (santé, bien-être, inclusion sociale, etc.) ou négatives (dopage, corruption, atteintes à l'environnement, etc.) que cette économie génère ».


Le CESE, qui est censé aider l’État à orienter son action, explique également que « l'offre de sport doit mieux s'adapter à une demande évolutive et aux besoins émergents ». Une des solutions proposées est donc de « créer des clusters à objet sportif afin de développer les synergies entre organismes publics et privés ». Un diagnostic fondé sur la conviction qu’une « large partie de la demande émergente est dès lors captée par le secteur privé marchand qui paraît plus réactif car plus souple. Le développement des salles de remise en forme repose d’ailleurs en partie sur des formes d’innovation continue, que ce soit dans les produits proposés (aquabiking, zumba, pilate, etc.) ou les modalités de pratiques (suivis individuels, cours collectifs, etc.). »


Une fuite en avant qui ne s’arrête jamais car « les sociétés privées sont elles-mêmes débordées par les usages du numérique qui promeuvent des pratiques désintermédiées », poursuit le Conseil dans son rapport.

« Un certain nombre d’applications proposent ainsi désormais des plateformes permettant de trouver des copratiquants, mais aussi des encadrants, selon des modalités très variables (gratuité, paiement à la tâche, etc.). »

On s’en rappelle : la crise du Covid-19 avait mis à rude épreuve les salles de fitness, poussant de nombreux et de nombreuses Français·es à (re)découvrir la pratique à domicile, parfois encouragé·es par la ministre des Sports de l’époque.


Le secteur privé ne lorgne donc pas, ou plus seulement, sur un sport professionnel aux retours sur investissements parfois si incertains car les opportunités, encore largement sous exploitées, des activités physiques et sportives de la population se révèlent bien plus sûres.


En outre, le retrait progressif du service public du sport laisse la place à des « solutions clientèles » pour y répondre et le succès de la mode du running, devenu un phénomène de société d’une ampleur rarement égalée pour ce type de loisir, métamorphosant l’ancien jogging et « ringardisant » l’athlétisme traditionnel, en constitue une parfaite illustration. Alors qu’il s’appuie en grande partie sur une pratique « libre » et « individuelle », parfois dite « autogérée », qui semble relever du seul bien-être personnel et même correspondre au discours officiel en faveur du sport-santé…


Ce processus encore en gestation porte déjà un nom : l’« ubérisation » du sport. Ce néologisme, inspiré d’une célèbre société américaine de VTC (voiture de transport avec chauffeur réservable via une application mobile), cache de fait une manière singulière de penser l’économie, en transformant chaque salarié·e en un·e « entrepreneur·euse » contraint de vendre son « produit » au meilleur prix.


Et le sport associatif risque bien d’être concerné par cette « contre-révolution » numérique qui supprime de fait les « corps intermédiaires » en tendant à isoler les individu·es au nom de leur liberté et en détruisant les liens collectifs. Le·a sportif·ve solitaire agrippé·e à son smartphone sera, cette fois-ci et une bonne fois pour toute, un·e client·e et non plus d’abord un·e citoyen·ne. Dès 2015, le sociologue Alain Loret avait de la sorte évoqué, dans La Gazette des communes une pente dangereuse qui « pourrait bien aller jusqu'à la disparition d'un nombre significatif de clubs sportifs issus de la vieille économie du sport qui se pratique ».


… et reconnaissance faciale !

L'effet de cette logique marchande pernicieuse s’immisce partout, y compris au sein des fédérations sportives. La plateforme HelloAsso estime que « l’entrée en scène de quelques acteurs privés » fait craindre aux fédérations « une ubérisation du sport ». Face à cette menace, elles « ne misent plus sur l’approche licence-club-compétition, mais optent plus pour une logique plus individualisée avec un encadrement fédéral ».


Pour résumer, il s’agit désormais de s’adresser aux licencié·es comme des « client·es » à satisfaire et certaines fédérations sportives ont d’ailleurs déjà repensé leur système de mise à disposition des infrastructures et des équipements.


Soucieuse de ne pas voir l’essor du 3x3 lui échapper, la Fédération française de basket-ball s’est par exemple acoquinée avec des partenaires privés pour mieux digitaliser certaines démarches comme la réservation d’un terrain. Ce qui peut de prime abord sembler être un plus pour le ou la pratiquant·e comporte en réalité de nombreux risques… Car les données personnelles de chacun·e valent désormais leur pesant de crypto-monnaie et c’est une nouvelle mine d’or au regard du nombre immense de sportifs et de sportives en France et dans le monde.


Le secteur marchand s’attaque aussi au sport pour mettre la main sur un autre « trésor » pourtant légalement protégé : les mineur·es. « Les données relatives aux enfants sont souvent décrites comme le " nouvel or " compte-tenu de leur valeur financière potentielle », note l’ONG Humanium qui a fait du respect des droits des enfants son cheval de bataille.

« Alors que le monde devient de plus en plus numérisé, il est important que les législateurs et les organismes de réglementation du sport s’efforcent de protéger les enfants au sein du monde numérique, plutôt que de les protéger de celui-ci. »

Dernier exemple qui illustre cette extension du domaine marchand : le public des stades de football. Un des objectifs de John Textor, un patron américain ayant fait fortune dans les hautes technologies venant de racheter le club de Lyon, serait d’importer l’usage de la reconnaissance faciale en France pour des applications commerciales visant à « simplifier » les achats des supporters lyonnais. Avec, bien sûr, la possibilité de revendre ces informations…


 

L’économie du sport en France selon le CESE

Dans un récent rapport du CESE (Conseil économique, social et environnemental) sur l’économie du sport, il était indiqué que la dépense sportive en France « représentait 36,9 milliards d'euros » en 2014. Ces dépenses proviennent des ménages (environ 18 milliards d'euros en achat de biens, même si certains n’ont pas forcément un usage sportif, et de services), des communes et de leurs regroupements (plus de onze milliards d'euros destinés aux équipements sportifs ou aux subventions des clubs, etc.) de l’État (4,9 milliards d'euros dont quatre milliards d'euros pour le sport scolaire) et enfin des entreprises (2,1 milliards d'euros pour les droits de retransmission des événements sportifs et le sponsoring). Et le sport associatif dans tout cela ? Selon le CESE, le poids économique des 180 000 associations affiliées aux 114 fédérations sportives agréées par le ministère chargé des Sports et membres du CNOSF était « estimé à 11,7 milliards d'euros en 2013, en additionnant les budgets des structures (amateurs et professionnelles) et les dépenses personnelles des pratiquants et des pratiquantes licenciés strictement liées à leur sport. Ce poids est accru si la valeur des participations des 3,2 millions de bénévoles est prise en compte (5,2 milliards d'euros à la valeur du Smic et 10,1 milliards d'euros au salaire moyen de la branche). »


 

bottom of page