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Sport pop' | Kleynhoff, Renoux, Guérard : trois visages méconnus

Dernière mise à jour : 29 nov. 2022

Le sport populaire n’existe que parce que des femmes et des hommes ont su en incarner ou en orienter les valeurs et le sens depuis plus d’un siècle. Ce numéro est l’occasion de se pencher sur la dimension humaine du patrimoine, toujours si vivant, de la FSGT (ou de son ancêtre) et de son mésestimé apport au sport français dans son ensemble à travers les portraits d’Abraham Henri Kleynhoff, de Jane Renoux et de Rosette Guérard. Une sélection extraite en grande partie du livre Terrains de jeux, terrains de luttes écrit par Nicolas Kssis (chef de rubrique et rédacteur à Sport et plein air) et paru en 2020 aux éditions de l’Atelier.

Jane Renoux sur une affiche électorale du Parti communiste français en 1979. © PCF

Abraham Henri Kleynhoff

Honneur aux pionniers pour commencer ! En l'occurrence, Abraham Henri Kleynhoff, un héros oublié du sport français dont on ne connaît que des bribes de son parcours. Même son prénom hébraïque avait disparu de sa signature et ne réapparaîtra que dans son acte de décès militaire.


Né en 1878 à Paris, il est issu des rangs du Parti ouvrier socialiste révolutionnaire (POSR) de Jean Allemane, ce courant du mouvement ouvrier qui mélangeait un profond utopisme anticapitaliste et un étonnant sens du pragmatisme, par exemple en s’investissant dans le réseau des coopératives ouvrières. Abraham Henri Kleynhoff en partage les paradoxes, dont une foi naïve dans le progrès. Dans un numéro de la revue libertaire Les hommes du jour paru en 1913 se trouve ainsi relatée sa visite enthousiaste de grand enfant au salon de l’aviation...


Il fut également un grand journaliste et un sportif convaincu à une époque où il fallait convaincre les cercles militants qu’il ne s’agissait pas seulement d’un loisir dilettante de bourgeois. En octobre 1904, déjà, il participe à une course cycliste puis rentre naturellement à L’Humanité, le quotidien de Jean Jaurès, trois ans plus tard pour tenir la rubrique sportive (il y fera d’ailleurs signer un jeune débutant du nom d’Henri Barbusse). Abraham Henri se servira du quotidien pour promouvoir son idée de lancer une organisation sportive ouvrière en France, à l’instar de ce qui existe alors en Allemagne, en Autriche ou même en Belgique. Ce sera d’abord la création de l’Union sportive du Parti social en novembre 1907.


Edmond Pépin, futur coprésident de la FSGT en 1945 et compagnon au long cours du sport ouvrier, déroulera en 1938 le fil de ses souvenirs dans Sport, la revue de la Fédération :


« Nous étions quelques socialistes et sportifs dans la région parisienne qui avions remarqué dans L’Humanité qu’un club ouvrier ayant pour titre Club athlétique socialiste de Paris venait d’être formé par Henri Kleynhoff et quelques amis. Par la voix du journal, des matchs étaient demandés aux socialistes et sympathisants adhérents aux formations bourgeoises, lesquelles, composées comme il se doit d’une majorité d’ouvriers. Ce fut donc très naturellement qu’un soir nous nous retrouvâmes à quelques-uns autour de Kleynhoff, venant lui offrir quelques équipes à rencontrer. ».

Abraham Henri Kleynhoff ne connaîtra malheureusement pas la postérité de son œuvre. Pendant la Première Guerre mondiale, il meurt au front en novembre 1916...


Jane Renoux

Enjambons les décennies pour retrouver une autre journaliste ayant notamment publié des articles dans les colonnes de Sport et plein air : Jane Renoux. Née en 1945, on ne voyait que ses yeux bleus et elle resplendissait de bonheur. Sa sœur, la chanteuse Dani, nous rappelle leur découverte commune du sport et de sa dimension populaire :

« Je me souviens encore émue de notre père qui nous emmenait toutes les deux sur les bords des terrains de rugby. »

Une image la résume finalement : cette affiche de campagne du Parti communiste français diffusée lors des élections européennes de 1979 (voir plus haut). Elle ouvre grand les bras et sa fenêtre vers un avenir radieux, avec un large sourire, tranquille et joyeux. Celle qui s’éloignera plus tard du PCF (mais pas du communisme) en a pourtant avalé des couleuvres... Sans jamais renoncer ni se renier.


Dans les années 1980, elle fut une des journalistes sportives de L’Humanité, qui lui rendra plus tard hommage en rappelant le « choc » d’avoir vu débarquer à l’époque une femme dans cette rubrique très masculine. Comme déjà expliqué plus haut, Jane Renoux écrivit aussi dans le journal de la FSGT. Une fédération qu'elle connaissait bien puisque son mari, Yves Renoux, en était (et est toujours !) un militant actif après y avoir longtemps occupé la fonction de Conseiller technique.


Convaincue, partisane, et dans le bon sens du terme, de la possibilité, voire de la nécessité, pour la gauche d’organiser un sport progressiste, elle mènera longuement une bataille féministe pour que le « second sexe » soit reconnu, aussi bien dans le mouvement sportif qu’auprès de sa famille politique, à une époque où cette question était presque sacrilège.


Jane travaillera ensuite à la mairie d'Arcueil (Val-de-Marne), dont le premier édile, Daniel Breuiller, était un ancien dirigeant de la FSGT. Lors de son enterrement en 1999, un chant catalan raisonna par-dessus la tristesse d'une assistance nombreuse et où se pressaient camarades, sportifs et sportives et évidemment confrères et consœurs...


Rosette Guérard

Les femmes furent donc bien plus importantes qu’on ne le pense dans le sport populaire, même si, y compris en son sein, la mémoire eu un peu trop tendance à s’écrire au masculin... Retour en arrière, à l’entre- deux-guerres, avec une certaine Rosette Guérard.


Née en 1908, cette amatrice de gymnastique rythmique fut une militante de la Fédération sportive du travail (proche du Parti communiste français) puis de la FSGT ! L’historien Fabien Sabatier résume ainsi sa vie dans un article qu’il lui a consacré en 2006 dans la revue Le Mouvement Social :

« Rosette Guérard est une figure prédominante, bien que méconnue, de l’histoire du MSOF [Mouvement sportif ouvrier français]. Elle participe, tout d’abord, en 1928, en qualité de membre de la petite délégation de la FST, aux Spartakiades de Moscou, et ce premier pas sur le sol de " la patrie du socialisme " marque sa première adhésion significative au combat du sport ouvrier international. »

En 1934, en pleine période d’ascension des fascismes européens, elle est l’une des personnes qui rédigent la constitution de la charte d’unité entre la FST et l’Union des sociétés sportives et gymniques du travail (qui était alors proche des socialistes), débouchant sur la création de la FSGT.


« Suite à cette unification, elle prend des fonctions d’importance dans la toute nouvelle FSGT, en qualité de membre de la première commission exécutive », poursuit Fabien Sabatier.

« La Seconde Guerre mondiale l’éloigne un temps des combats du sport ouvrier. Mais elle adhère à nouveau dès la Libération, comme nombre de militants sportifs communistes, à la FSGT reconstituée. Elle perd pour- tant la position prédominante qu’elle possédait avant-guerre, et la seconde partie du siècle (1945-1970) est principalement marquée par son investissement en faveur de la propagation de la gymnastique rythmique au sein du Red star club montreuillois [Seine-Saint-Denis], un des clubs FSGT les plus dynamiques de la région parisienne et soutenu par une municipalité emblématique de la banlieue rouge. »

 
Roger Fidani : de la FSGT à la crise de Cuba

Originaire de l’US Ivry (Val-de-Marne), Roger Fidani entra dans la commission exécutive de la FSGT en 1949, avant d’en devenir son secrétaire général en 1965. Il était le représentant de la « vieille école » du sport travailliste, dévoué et respecté, mais dont la culture militante a parfois pu sembler décalée par rapport aux évolutions (autogestion, innovation...) qui se mettent en branle au cours dans ces années-là. Mais ce n’est pas cet aspect, révélateur d'un puzzle FSGT bien plus complexe qu’il n’est souvent décrit, dont nous voulons parler. En 1962, Roger Fidani se retrouve en effet coincé au milieu de la crise des missiles de Cuba alors qu’il visite le pays pour regarder comment le socialisme permet de développer le sport, y compris en comparaison avec la France, dans un pays si pauvre dont lui-même avoue n’avoir que « des images confuses d'histoire et de géographie, quelques visions plus ou moins colorées, plus ou moins exotiques d'une nature que j'imaginais bien volontiers exubérante et chaude ». Fortement marqué par cette expérience qui faillit conduire le monde à un conflit nucléaire, il publie en 1975 avec Raymond Pointu, alors journaliste au Monde, le livre Cuba, sport en révolution.

 

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