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Paris 2024 I Quel coût sécuritaire ?

Le gouvernement a mis le paquet pour que les JOP se déroulent en toute sécurité. Mais combien cela va-t-il coûter aux Français·es et à leurs libertés ? Pour l’instant, tout le monde l’ignore…

© Paul Burckel

Un siècle après l’édition 1924, les Jeux olympiques et paralympiques (JOP) font leur retour à Paris ! Initialement budgétisés à 6,6 milliards d’euros, ces JOP, qui auront lieu du 26 juillet au 8 septembre, pourraient finalement en coûter près du double… Si, mois après mois, la facture des olympiades augmente, un aspect reste stable : l’incertitude entourant son coût sécuritaire.

« Les Jeux olympiques d'été sont le plus grand événement au monde. » C’est avec ces mots que Gérald Darmanin, le ministre de l’intérieur, débutait une audition au Sénat en mars dernier. Pour la place Beauvau ; la principale préoccupation pendant Paris 2024 sera le terrorisme. « Les perspectives de menaces que nous envisageons pour les Jeux s'inscrivent dans la continuité du contexte actuel », rappelait Céline Berthon, à la tête de la DGSI, également face aux sénateur·rices.

Gérald Darmanin craint aussi la contestation sous toutes ses formes, depuis l’ultradroite jusqu’aux écologistes, en passant par les luttes sociales et locales. Ce qui ne serait pas improbable au vu des tensions dans le pays ces derniers mois.

C’est à partir de ces hypothèses que s’est construit le programme sécuritaire du ministère de l’intérieur. « Nous allons organiser, avec le monde judiciaire, une stratégie d'entrave pour mettre hors d'état de nuire toute personne nécessitant, selon nous, une telle mesure », promet le premier flic de France.

Sur le million de travailleur·ses et de bénévoles allant prendre part aux JOP, une centaine de milliers ont déjà fait l’objet d’une enquête administrative, mais tout commencera vraiment avec le relais de la flamme olympique. Cette dernière fera étape dans 65 villes et en traversera 400 autres, ainsi que six territoires ultramarins. Le tout grâce à 10 000 porteur·ses et aux 115 personnels de police et de gendarmerie formant une bulle de protection autour de la flamme.

Si le dispositif paraît conséquent, il n'est rien à côté de celui de la cérémonie d'ouverture qui devrait se dérouler sur la Seine le 26 juillet. « Il s'agit du plus important défi logistique et sécuritaire qu'a jamais dû relever le ministère de l'intérieur », souligne Gérald Darmanin.

Il faut dire que les organisateurs ont vu les choses en grand : 206 délégations seront transportées par 90 bateaux. Tous navigueront sur six kilomètres jusqu’au Trocadéro, où 150 à 200 chefs d'État et de gouvernement les attendront. Le tout devant près de 400 000 personnes et deux milliards de téléspectateurs.

Il faudra 45 000 policier·ères et gendarmes pour sécuriser la capitale le jour J (contre 35 000 par jour pour la suite des JOP). Toutes les forces de sécurité seront mobilisées, dont la sécurité privée et 2 500 policier·ères étranger·ères. « Les trois unités d'élite du ministère de l'intérieur se sont mises d'accord pour se répartir la tâche sur un même territoire », indique le ministre de l’intérieur.

« Les hélicoptères seront également présents, avec des tireurs d'élite à bord. La circulation aérienne sera complètement interrompue à partir de 19 heures environ, dans un périmètre de 150 kilomètres autour de Paris. »

 

« Putain de prime »

 

Mais tout cela a un prix. Selon le cabinet de conseil Asterès, une facture de 11,8 milliards d’euros, dont 5,2 milliards d’argent public, pourrait être présentée aux Françaises et Français à la fin des JOP. Cette addition se divise en trois parties : 4,4 milliards d’euros sont consacrés aux infrastructures, 4,4 autres milliards sont dévolus à l'organisation de la compétition et trois milliards d’euros seraient destinés aux autres coûts, dont la fameuse sécurité.

Interrogé en 2023 sur le budget global de la sécurisation des Jeux, Gérald Darmanin évoquait une somme de 200 millions d’euros (primes comprises). C’était sans compter sur une journée de grève lancée par les syndicats de police. En mars dernier dans Ouest-France, un ancien responsable policier confiait qu’il allait falloir « leur donner une “putain de prime” » pour s’assurer de leur disponibilité tout l’été. Quelques jours plus tard, le ministre de l’intérieur annonçait finalement que le montant des primes serait finalement plus élevé que prévu, allant jusqu’à 1 900 euros.

Par ailleurs, « seuls » dix millions ont été consacrés à la sécurité numérique de Paris 2024 alors que la menace cyber ne fait que croître depuis plusieurs olympiades. « À Tokyo, nous avons eu 450 millions d’attaque, huit fois plus qu’à Rio », soulignait Christophe Thivet, directeur chez Atos, le 24/04/23 dans Ouest-France.

Si la France est, a priori, bien préparée, grâce à son Agence nationale de sécurité des systèmes d’information, on sait aujourd’hui que « nombre de groupes de hackers ont placé les JO comme "top priorité" », confiait Mohammed Boumediane, président du groupe Ziwit, à 20 minutes en février dernier. L’enveloppe dévolue à la cybersécurité va-t-elle aussi être revue à la hausse ?

Quoi qu’il en soit, le budget global de la sécurisation des Jeux devrait donc être nettement supérieur à la somme avancée par Gérald Darmanin en 2023. D’autant que, dès l’été 2022, la Cour des comptes estimait que les dépenses liées à la sécurité, avant primes, s’élèveraient à 419 millions d'euros.

 

Les JOP, un prétexte ?

 

Le mystère quant au prix à payer pour accueillir les olympiades risque de perdurer encore un temps. « La Cour des comptes va l'auditer après les JO », assurait le président de cette institution, Pierre Moscovici, en mars dernier au micro de France Inter. Mais c’est aussi le cas du coût « moral »…

Car pour assurer la sécurité de cet événement, l'exécutif s'appuie sur la loi de sécurité intérieure, votée fin 2017 pour faire entrer dans le droit commun le dispositif dérogatoire de l'état d'urgence, et sur la loi relative aux Jeux olympiques et paralympiques 2024, votée en mai dernier. Cette dernière prévoit de nombreuses mesures destinées à sécuriser les JOP, parmi lesquelles l'utilisation d'images de caméras et de drones pour alimenter des algorithmes capables d’alerter les autorités d'un risque. « À situation exceptionnelle, moyens exceptionnels », justifiait alors le ministre de l'intérieur devant des parlementaires.

En 2023, les députés écologistes et insoumis parlaient d’une loi « liberticide et sécuritaire », et « contraire à plusieurs principes à valeur constitutionnelle » et Maryse Artiguelong, membre du bureau national la Ligue des droits de l’homme (LDH), expliquait pourquoi dans les colonnes du journal Options :

« Cette loi (…) ouvre la porte à la reconnaissance faciale. La France est le seul pays européen à mettre en place ce système, malgré son inefficacité maintes fois avérée. »

De fait, les « faux positifs » sont nombreux. Celui d’une femme noire et enceinte arrêtée à Chicago pour un cambriolage qu’elle n’avait pas commis est emblématique. « On assiste à une augmentation continue de la surveillance, notamment par caméra », soulignait pourtant Maryse Artiguelong.

« On passe à une échelle bien supérieure au prétexte de la sécurité pour les Jeux olympiques. »

Cette réflexion fait écho aux questionnements d’un journaliste suisse. Dans Le Temps, Paul Ackermann rappelait qu’après le Qatar, la Chine et la Russie, les JOP de Paris 2024 marquaient le retour des grandes compétitions dans le giron des démocraties libérales. Avant de se demander si ces Jeux allaient correspondre à « une sorte d’ouverture propre aux "pays libres" » ou si « l’héritage des tours de vis de Doha, Pékin et Sotchi se fera ressentir » ? Mais n'est-ce pas déjà le cas ?


 Laura Kotelnikoff-Béart

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